(Ottawa) Un tribunal a rejeté la tentative du sénateur Mike Duffy de renverser une décision l’empêchant de poursuivre le Sénat pour des millions de dollars relativement à sa suspension sans solde.

La Cour d’appel de l’Ontario a confirmé le jugement rendu en 2018 par le tribunal de première instance, qui a estimé que la décision du Sénat de suspendre M. Duffy était protégée par le privilège parlementaire.

Dans une décision unanime rendue vendredi, les juges de la Cour d’appel affirment que les tribunaux n’ont pas compétence pour statuer sur des questions tranchées par le Sénat, qui ne peuvent être jugées que par le Sénat lui-même.

Pour l’avocat de M. Duffy, Lawrence Greenspon, cette décision confirme que le Sénat est au-dessus de la loi. Il ajoute que son client songe à soumettre le dossier à la Cour suprême.

« En cette période trouble, il est particulièrement important de s’assurer que le gouvernement ne soit pas au-dessus de la loi et que ce n’est pas à cela qu’on a assisté dans la décision de la Cour d’appel », a commenté Me Greenspon en ajoutant que la décision de poursuivre les démarches devrait être prise dans les prochains jours.

Le sénateur de l’Île-du-Prince-Édouard avait réclamé 7,8 millions en remboursement et en dommages-intérêts du Sénat, de la Gendarmerie royale du Canada et du gouvernement fédéral pour sa suspension.

Mike Duffy a été suspendu sans solde pendant près de deux ans en raison de son implication dans le scandale des dépenses du Sénat, pour lequel il a finalement été acquitté de 31 accusations criminelles en 2016.

Malgré l’acquittement, le Sénat a refusé de compenser Mike Duffy pour ses pertes de revenus en salaire et en frais juridiques. On a même réclamé 17 000 $ au sénateur pour des remboursements de dépenses jugés excédentaires.

Son avocat avait fait valoir que la décision de suspendre M. Duffy en novembre 2013 était venue du bureau du premier ministre de l’époque, Stephen Harper, ce qui en faisait une décision politiquement motivée qui annulait, selon lui, l’immunité du Sénat.

Mike Duffy a été nommé au Sénat sous la recommandation de Stephen Harper en 2008. Il a quitté le caucus conservateur en mai 2013 et a rejoint depuis le groupe d’indépendants.

Dans son argumentaire, Me Greenspon avance que Stephen Harper a menacé Mike Duffy qu’il serait expulsé du Sénat à moins d’admettre qu’il avait involontairement abusé de son compte de dépenses en matière d’hébergement et de rembourser 90 172 $.

Ces menaces constituent de l’extorsion, plaide l’avocat qui estime fondamentale pour la règle de droit que les tribunaux aient la juridiction nécessaire de traiter les comportements répréhensibles du Sénat.

Le juge Mahmud Jamal a déterminé que les allégations de gestes illégaux par le Sénat ne concernent pas des « crimes ordinaires » et que toute ingérence du cabinet du premier ministre serait « intégralement liée aux procédures parlementaires ».

Ces questions entraîneraient devant le tribunal toutes sortes de débats disciplinaires et de décisions internes sur des enjeux qui relèvent normalement de privilèges parlementaires, peut-on également lire dans la décision de la cour.

Le Sénat satisfait

Philippe Hallée, légiste et conseiller parlementaire du Sénat, a accueilli favorablement la décision de la Cour d’appel de l’Ontario.

« Le privilège parlementaire est une composante essentielle de la démocratie parlementaire canadienne et elle assure que les corps législatifs disposent du niveau d’autonomie nécessaire pour mener leurs travaux avec dignité et efficacité », a-t-il commenté.

Le sénateur Marc Gold, représentant du gouvernement au Sénat, a refusé nos demandes de commentaires sur cette affaire vendredi.