(Ottawa) Mitraillés de questions par l’opposition, les cofondateurs de WE Charity Craig et Marc Kielburger ont juré devant un comité parlementaire que leurs liens politiques n’avaient rien à voir avec le fait qu’ils ont décroché le contrat de gestion d’un programme de bourses de bénévolat étudiant.

Les frères ont prêté serment pour amorcer leur comparution par visioconférence d’une durée de quatre heures, mardi. D’entrée de jeu, Craig, le visage public de Mouvement UNIS, a déclaré qu’il n’y aurait eu « aucun bénéfice financier » pour l’organisme à livrer le programme de bourses.

Et en dépit de l’étroitesse des liens qui existent entre l’organisation et le clan Trudeau, « nous n’avons pas été choisis pour faire le travail par la fonction publique en raison de nos relations avec des politiciens », a-t-il martelé dans sa déclaration d’ouverture.

Il a laissé tomber qu’il n’aurait « jamais répondu au téléphone lorsque les fonctionnaires ont appelé » s’il avait su que cela allait avoir comme conséquence de paralyser le déploiement d’un plan destiné aux jeunes pour qui la pandémie a raréfié les opportunités de toucher un revenu.

À l’invitation de la députée libérale Annie Koutrakis, qui lui a proposé de faire le point sur les « conceptions erronées » qui ont été véhiculées au sujet de toute cette histoire, Craig Kielburger s’est porté à la défense de l’intégrité d’UNIS.

« À la base, nous avons fait cela pour servir le gouvernement, a-t-il plaidé. Et ces répercussions sont vraiment malheureuses », a-t-il regretté. Au fil de la séance, celui dont l’organisation s’est retrouvée sur la sellette a critiqué la couverture médiatique des récents événements.

Il a notamment pointé du doigt les allégations formulées la semaine dernière en comité par Vivian Krause, collaboratrice occasionnelle au National Post, voulant qu’UNIS auraient partagé des données avec le Parti libéral du Canada.

« C’est tout simplement faux », a insisté Craig Kielburger.

Son frère Marc a pour sa part signalé que selon son évaluation, le programme de bourses aurait coûté entre 200 millions et 300 millions au trésor public. Or, en présentant la Bourse canadienne pour le bénévolat étudiant (BCBE), Ottawa chiffrait celle-ci à 912 millions.

« Laissez-les répondre »

Le long témoignage des frères a été ponctué d’innombrables interruptions des élus de l’opposition. Tous partis confondus, ils ont coupé la parole des témoins, forçant le président du comité, Wayne Easter, à intervenir afin de ramener un certain décorum.

Assis l’un à côté de l’autre, les frangins muselés ont parfois changé des sourires face à cette incapacité de placer un mot. De façon générale, ils n’y sont pas allés de nouvelles révélations fracassantes, semblant se référer à des notes par moments.

Une ex-présidente du C. A. témoigne

Avant l’entrée en scène des frères Kielburger, la présidente démissionnaire du conseil d’administration de l’organisme de bienfaisance, Michelle Douglas, est revenue sur son départ, qui remonte au 27 mars dernier. Elle a noté que celui-ci n’avait pas de lien avec le programme de bourses.

PHOTO DAVID KAWAI, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

L’ancienne présidente du conseil d’administration du Mouvement UNIS, Michelle Douglas.

L’ancienne fonctionnaire et membre des Forces armées canadiennes a expliqué aux députés qui siègent au comité que si elle avait quitté, c’était parce qu’elle avait l’impression de ne plus être en mesure de faire son travail, entre autres après que les dirigeants eurent refusé de présenter les états financiers d’UNIS au C. A.

Mais si elle a jeté l’éponge, c’est aussi parce que le 25 mars dernier, Craig Kielburger lui a demandé de le faire. Cette requête est survenue deux jours après un échange houleux avec Marc Kielburger qui s’est conclu de façon « abrupte », a indiqué Mme Douglas.

Invitée à se prononcer sur la politique de rémunération des orateurs qui participent à des événements UNIS, elle a soutenu qu’à sa connaissance, la pratique était de ne pas leur verser de cachet. Elle n’a cependant pas été en mesure de commenter le cas précis de Margaret et Alexandre Trudeau, qui ont tous deux été payés.

Ces témoignages précèdent ceux, très attendus, du premier ministre Justin Trudeau et de sa cheffe de cabinet, Katie Telford. Ils seront interrogés par les députés du comité permanent des finances jeudi après-midi.

Chronologie de l’affaire UNIS

– 5 avril 2020 : Le premier ministre Justin Trudeau et le ministre des Finances Bill Morneau ont un échange au téléphone. Ils discutent des façons de venir en aide aux étudiants, dont les perspectives d’emploi d’été ont été affectées par la pandémie.

– 9 avril 2020 : L’organisme de bienfaisance Mouvement UNIS, qui avait été contacté par le bureau du ministre Morneau deux jours plus tôt, envoie une proposition non sollicitée au gouvernement concernant un programme d’entrepreneuriat étudiant.

– 21 avril 2020 : Une proposition formelle est envoyée par UNIS. Le ministre des Finances approuve les paramètres de la création de la Bourse canadienne pour le bénévolat étudiant (BCBE). Le premier ministre Trudeau annonce sa mise sur pied prochaine en conférence de presse le lendemain.

– 22 mai 2020 : Le conseil des ministres approuve la création du programme de bourses, dont la responsabilité est confiée à la ministre de la Diversité, de l’Inclusion et de la Jeunesse Bardish Chagger. Le premier ministre Trudeau et le ministre Morneau sont présents lors des discussions et de l’approbation de la BCBE.

– 25 juin 2020 : À Rideau Cottage, Justin Trudeau annonce les détails du programme. Un document d’information gouvernemental mentionne le rôle qui reviendra à UNIS dans sa mise en œuvre. Dans les jours suivants, des critiques font surface en raison des liens entre le premier ministre et sa famille avec l’organisation.

– 3 juillet 2020 : La controverse ne cessant de prendre de l’ampleur, UNIS annonce son retrait du projet « à contrecœur ». Le même jour, le commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique annonce l’ouverture d’une enquête sur Justin Trudeau.

– 9 juillet 2020 : Le média indépendant Canadaland et CBC rapportent que des membres de la famille du premier ministre ont touché de généreux cachets pour leur participation à des événements d’UNIS : 250 000 $ dans le cas de Margaret Trudeau, sa mère, et 32 000 $ pour Alexandre Trudeau, son frère.

– 10 juillet 2020 : Le média indépendant Canadaland et CBC rapportent que la famille de Bill Morneau a aussi des liens très étroits avec l’organisme. Ses deux filles y sont impliquées. La première, Clare, a livré trois discours lors de Journées UNIS, sans toutefois être rémunérée, tandis que la seconde, Grace Acan, est une employée contractuelle depuis août 2019.

– 13 juillet 2020 : Justin Trudeau et Bill Morneau s’excusent de ne pas s’être récusés des discussions du cabinet sur UNIS, plaidant tous les deux avoir commis une erreur qu’ils regrettent.

– 16 juillet 2020 : La ministre Bardish Chagger indique dans son témoignage au comité des finances qu’UNIS aurait pu toucher jusqu’à 43,5 millions pour livrer le programme, et non 19,5 millions $ comme il avait été affirmé auparavant. Le commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique annonce l’ouverture d’une enquête sur Bill Morneau.

– 22 juillet 2020 : Devant le comité des finances, le ministre Morneau annonce qu’il a omis de payer 41 366 $ en dépenses pour deux voyages que des membres de sa famille et lui-même ont faits avec UNIS en 2017 au Kenya et en Équateur. Il a envoyé un chèque à UNIS peu avant sa comparution.

– 28 juillet 2020 : Les frères Craig et Marc Kielburger témoignent au comité des finances.