François Legault n’en faisait guère de cas avant la pandémie. La mairesse de Montréal, Valérie Plante, n’était pas perçue comme une alliée politique. Elle réclamait avec insistance une nouvelle ligne de métro, qui ne faisait pas partie des plans du gouvernement. Au surplus, elle s’était opposée ouvertement au projet de loi 21 par lequel le gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ) a interdit le port du voile. Un moment d’embellie toutefois, elle avait facilité les choses, sur le plan budgétaire, pour permettre à Ottawa et à Québec de donner un premier feu vert au projet de tramway de Québec.

Mais au cours des derniers mois, le gouvernement Legault a été mis devant une évidence. Il devra tenir compte des orientations de l’administration de la ville. Pas ennemis, mais pas amis non plus ; Valérie Plante a profité à plusieurs occasions de la lutte contre la pandémie pour jouer du muscle, faire bien sentir à Québec qu’elle aurait son mot à dire sur les décisions qui touchent sa ville.

Le rapport entre les deux administrations ne coule pas de source ; Projet Montréal est philosophiquement bien plus proche de Québec solidaire. Au surplus, la CAQ a fait élire seulement deux députés dans l’île de Montréal, dont l’ex-mairesse Chantal Rouleau, issue du parti de Denis Coderre. Les prochaines élections municipales auront lieu en novembre 2021. Et dans les corridors, les vétérans à l’hôtel de ville entendent souvent les craintes des fantassins de Projet Montréal : « Québec ne fera rien pour nous aider. » Valérie Plante bouscule les gens ? Elle presse le pas, plutôt.

C’est devenu évident quand la mairesse, sans prévenir François Legault, a annoncé que Montréal imposerait le port du masque dans tous les lieux publics fermés, à compter du 27 juillet. « Je préfère agir trop vite que d’agir trop tard », a-t-elle expliqué, rappelant que sa ville avait été l’épicentre de la pandémie au Québec.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

La mairesse Valérie Plante

La réplique ambiguë du gouvernement a illustré son embarras. Le premier ministre Legault s’est d’abord interrogé sur l’applicabilité de cette directive. Il comptait discuter avec Mme Plante afin de comprendre « comment on [pouvait] mettre en place et faire respecter ce règlement ».

Puis son directeur de santé publique, Horacio Arruda, a souligné que cette mesure était déjà dans ses cartons. On craignait l’incohérence d’une mesure qui serait appliquée au gré des volontés municipales sur le territoire. Québec voulait aussi s’assurer de l’adhésion de la population à une mesure aussi draconienne. « On n’était pas prêts à aller aussi vite. On craignait que ce soit le chaos ! », résumait-on cette semaine à Québec.

Sous l’angle politique, le constat était sans appel ; François Legault, qui avait pendant des semaines cultivé l’image du bon père de famille, d’une prudence exemplaire, venait de se faire damer le pion par Valérie Plante.

Il lui a vite rendu la monnaie de sa pièce en annonçant l’imposition du port du masque dans tous les édifices dès le 18 juillet. Il y avait eu des coups de semonce – Valérie Plante craignait que l’on ostracise la métropole ; un sondage de la CAQ vient lui rappeler que la majorité des Québécois voudraient qu’on boucle l’île de Montréal.

Rares liens

Ce n’était pas la première fois que Québec et Montréal se mesuraient. Dès les premiers jours de la pandémie, inquiète du nombre de passagers qui transitaient par l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau, la Direction régionale de santé publique de Montréal, qui relève ultimement d’Horacio Arruda, avait conscrit un contingent d’employés. Envoyés sur place, ils devaient informer les voyageurs des consignes, de l’obligation d’un isolement de 14 jours. Mais ce matin-là, c’est Valérie Plante qui était devant les caméras à l’aéroport ; dans l’opinion publique, cette initiative sera celle de la Ville de Montréal. Sorte d’agent de liaison du cabinet de François Legault avec l’administration Plante, Pascal Mailhot admet sa surprise d’avoir ainsi vu le tapis glisser sous les pieds de Québec.

Pascal Mailhot est l’un des rares à avoir des liens avec Projet Montréal – issu du Parti québécois, il était membre du parti montréalais à l’époque où celui-ci était dirigé par Richard Bergeron. Chef de cabinet de la ministre des Affaires municipales, Andrée Laforêt, Francis Côté aussi connaît bien les arcanes de l’hôtel de ville. Il a été pendant huit ans le bras droit du maire de l’arrondissement de Rosemont–La Petite-Patrie, François Croteau, un ténor de Projet Montréal.

Si des tensions sont apparues entre les administrations Legault et Plante, ce n’est pas faute de se parler ; en fin de matinée, presque chaque jour, Pascal Mailhot et Francis Côté s’entretiennent en vidéoconférence avec la chef de cabinet de Mme Plante, Marie-Eve Gagnon, et son adjoint, Guillaume Cloutier.

À la mairie, on minimise vite les apparentes dissensions. Quand elle a annoncé le port du masque partout à l’intérieur, la mairesse voulait coordonner cette exigence à celle, déjà connue, pour les usagers des transports en commun, explique-t-on.

Cette décision était la prérogative de la Ville, Mme Plante n’avait pas de permission à demander.

Dans les cercles proches de Mme Plante, on souligne que la pandémie aura été l’occasion d’une collaboration sans précédent entre les deux administrations. Sous plusieurs aspects, la relation a bien fonctionné. Québec était soulagé de voir que la ville avait fait des gestes importants pour la sécurité des itinérants, l’application des règles dans les HLM et l’organisation de banques alimentaires par des cols bleus municipaux.

Aussi, l’administration Plante aura eu en prime une décision favorable, en partie, à un projet qui lui tenait à cœur. Québec avait, dans la liste des chantiers auxquels donner la priorité dans le projet de loi 61, inscrit une partie de la fameuse « ligne rose », le tramway qui doit se rendre jusqu’à l’arrondissement de Lachine.