François Legault affirme que la corruption ne l’inquiète pas.

(Québec) Des organismes de surveillance sonnent l’alarme : le projet de loi sur la relance accélérée de l’économie du gouvernement Legault ouvre la porte à « l’émergence de corruption, de collusion » en plus de représenter une « opportunité » pour le crime organisé, estiment le comité de suivi de la commission Charbonneau et le Bureau de l’inspecteur général de Montréal (BIG). La protectrice du citoyen craint la mise en place « d’un régime parallèle » au cadre légal actuel.

Sous le feu des critiques, François Legault s’est défendu mardi en affirmant que « personne ne veut revivre les contrats aux petits amis ». « Ça ne m’inquiète pas, la corruption », a-t-il lancé, en rappelant qu’il compte dans son équipe l’ex-procureure de la commission Charbonneau, Sonia LeBel, et des « comptables agréés », comme son président du Conseil du trésor, Christian Dubé.

Dans un mémoire coup de poing déposé tard en soirée mardi, le comité chargé d’examiner l’application des recommandations de la commission Charbonneau tranche que le projet de loi (PL) 61 vient recréer sans « aucun doute » un « environnement extrêmement favorable à la corruption, à la collusion et aux autres malversations » en plus de donner des « pouvoirs exorbitants » au gouvernement.

La pièce législative, qui vise à accélérer la mise en chantier de plus de 200 projets d’infrastructures comme des hôpitaux et des maisons des aînés, va même à l’encontre des recommandations de la commission Charbonneau et à l’encontre « de toutes les bonnes pratiques de saine gestion des marchés publics », écrit-on.

Devant la grogne, le premier ministre, qui a déjà écarté l’imposition du bâillon pour adopter le PL61, s’est dit ouvert à la prolongation de la session parlementaire — qui doit se terminer vendredi — pour arriver à s’entendre avec les partis de l’opposition. Le gouvernement Legault a par ailleurs montré des signes d’ouverture mardi.

Christian Dubé a affirmé que la pièce législative « était perfectible ». Il a aussi jugé « très intéressante » la suggestion de l’ex-député de la CAQ Jacques Duchesneau, l’une des figures marquantes de la lutte anticorruption du Québec, qui a proposé, en commission, la création d’un BIG « national » à l’instar de celui de la Ville de Montréal ou de la Ville de Saint-Jérôme duquel il est l’inspecteur général.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, LA PRESSE CANADIENNE

Marie Rinfret, protectrice du citoyen

La protectrice du citoyen, Marie Rinfret, s’est pour sa part dite « préoccupée » de la création, par l’entremise du PL61, d’une sorte de « régime parallèle » au cadre légal et réglementaire québécois. À son avis, la portée du projet de loi 61 est « trop grande », notamment en ce qui a trait à la possibilité de déroger, par règlement, à des exigences environnementales.

Elle réclame que l’état d’urgence sanitaire soit renouvelé tous les six mois et qu’on augmente la reddition de comptes. « L’accélération du processus réglementaire s’accompagnerait d’une atteinte au droit des citoyens d’être partie prenante au processus démocratique », a-t-elle soulevé. Elle demande aussi que l’on maintienne le recours portant sur le droit d’expropriation puisque les citoyens « seraient privés de leur droit » dans l’actuel projet de loi.

« Foyer pour le crime organisé »

Le Bureau de l’inspecteur général de la Ville de Montréal s’inquiète que le crime organisé entrevoie une occasion qu’il n’hésitera pas à saisir à travers le PL61. « Les sommes importantes que le gouvernement s’apprête à investir rapidement dans les infrastructures sont susceptibles d’allécher le crime organisé afin de s’introduire dans l’économie légale », a souligné l’inspectrice Brigitte Bishop.

Elle soutient que le contexte de la pandémie « est un foyer pour le crime organisé » alors que des entreprises pourraient être à court de liquidités et être « à la recherche de financement rapide ».

Le BIG prévient que « plus on va aller vite », plus il va « falloir des inspecteurs sur le terrain » pour renforcer le « rempart » de protection.

C’est l’article 50 du projet de loi 61 qui titille le plus les organismes de surveillance. Le comité de suivi de la commission Charbonneau réclame carrément qu’on le retire de la pièce législative.

L’article prévoit que le gouvernement « peut déterminer par règlement ou recommandation du Conseil du trésor » les « conditions applicables » en matière de contrats et sous-contrats publics. Il pourrait ainsi soumettre des conditions différentes de celles prévues dans la Loi sur les contrats des organismes publics pour l’octroi de contrats.

L’Autorité des marchés publics (AMP), créée sur recommandation du rapport de la commission Charbonneau, a émis ses réserves en affirmant que l’article 50 était « trop large », ce qu’a admis le président du Conseil du trésor. M.  Dubé a indiqué que l’article avait été rédigé pour se donner la flexibilité de « faire des aménagements ».

« Au Québec, nous avons depuis les dernières années resserré l’étau en matière de surveillance des marchés publics […]. Nous aurions tort de relâcher la garde en cette période où nous devons, au contraire, être encore plus vigilants », a indiqué la présidente-directrice générale par intérim de l’AMP, Nathaly Marcoux.

Le gouvernement Legault veut accélérer la réalisation de 202 projets d’infrastructures en réduisant les délais pour l’obtention des autorisations nécessaires, dont celles qui touchent l’environnement. Le PL61 donnerait également au gouvernement la possibilité de renouveler l’état d’urgence sanitaire aussi longtemps qu’il le souhaite.

Les partis de l’opposition sont unanimes : il n’est pas question d’appuyer le projet de loi « dans sa forme actuelle », et des changements majeurs sont réclamés. Ce mercredi, le Barreau du Québec et le Vérificateur général du Québec seront finalement entendus en commission, comme le réclamait l’opposition.

Ce que permet le projet de loi 61 

Procédure d’expropriation allégée

Remplacement, par règlement, de certaines dispositions de la Loi sur la qualité de l’environnement pour alléger et accélérer les processus

Prolongation de l’état d’urgence sanitaire « jusqu’à ce que le gouvernement y mette fin »

Pour l’attribution de contrats : pouvoir déterminer des conditions différentes de celles prévues par la Loi sur les contrats d’organismes publics dans les deux ans suivant la sanction de la loi

Immunité de poursuite judiciaire pour le gouvernement, un ministre ou un organisme public