(OTTAWA ) À la toute veille d’une rencontre au sommet avec ses homologues des provinces, le premier ministre Justin Trudeau a annoncé mercredi que le gouvernement fédéral mettait 1 milliard de dollars sur la table pour contrer les impacts négatifs de la COVID-19.

Le premier ministre a promis que tout serait mis en œuvre pour donner un coup de pouce aux travailleurs, aux entreprises et aux provinces au moment où l’incertitude économique s’installe au pays à cause de la propagation du virus, désormais considéré comme une pandémie par l’Organisation mondiale de la santé, et de la chute brutale des prix du pétrole.

Quelques heures plus tard, le ministre des Finances Bill Morneau a finalement annoncé à la Chambre des communes la date du dépôt de son prochain budget. Le grand jour sera le lundi 30 mars.

De toute évidence, Justin Trudeau visait, par ces deux annonces, à donner le ton au déroulement de la rencontre des premiers ministres – la première depuis les élections fédérales qui ont mis en relief les vives tensions entre Ottawa et certaines provinces, en particulier l’Alberta et la Saskatchewan, où les libéraux de Justin Trudeau ont été rayés de la carte.

Avant la crise provoquée par la COVID-19, les Jason Kenney (Alberta), Scott Moe (Saskatchewan) et compagnie semblaient déterminés à faire passer un mauvais quart d’heure à Justin Trudeau durant la rencontre de deux jours à Ottawa. D’autant que leur amère déception ayant suivi la réélection des libéraux l’automne dernier avait récemment fait place à la colère en raison de la gestion du blocus des voies ferrées qui a paralysé le transport ferroviaire pendant près d’un mois et la décision de Teck Resources d’abandonner son mégaprojet d’exploitation des sables bitumineux Frontier, dans le nord de l’Alberta. Dans les deux cas, le gouvernement Trudeau a été vertement critiqué.

Un relent de cette colère demeure dans l’ouest du pays, mais la mobilisation essentielle de tous les ordres de gouvernement pour éviter que la COVID-19 touche un grand nombre de Canadiens et inflige de graves dommages à l’économie du pays fait en sorte que la zizanie que l’on appréhendait durant cette rencontre des premiers ministres ne devrait pas avoir lieu.

L’annonce d’Ottawa d’allouer 1 milliard de dollars – une somme qui pourrait être un premier investissement si la crise s’aggrave – a d’ailleurs été généralement bien accueillie par les provinces et les gens d’affaires mercredi.

« Ce n’est pas un hasard si on a fait ces annonces [mercredi], à la veille de la rencontre des premiers ministres », a confié une source gouvernementale qui a requis l’anonymat afin de s’exprimer plus librement. « On ne voulait pas que les premiers ministres des provinces quittent la rencontre en faisant des demandes. Maintenant, ils vont arriver ici avec l’objectif de se concerter. La COVID-19 est à la fois une question de santé publique et une question économique. »

« Avec tout ce qui se passe, les Canadiens n’auront aucune tolérance envers un premier ministre qui se pointerait à la rencontre pour marquer des points politiques. Il y a une crise actuellement et elle est sérieuse. Et ce qui complique la situation, c’est qu’on ne sait pas combien de temps cela va durer et quelle ampleur cela va prendre », a ajouté une autre source gouvernementale, qui a aussi requis l’anonymat.

Pour démontrer que son gouvernement veille au grain et qu’il est prêt à agir, Justin Trudeau a fait son annonce mercredi en compagnie des ministres les plus influents de son cabinet : Chrystia Freeland (vice-première ministre et ministre des Affaires intergouvernementales), Bill Morneau (Finances), Patty Hajdu (Santé) et Jean-Yves Duclos (président du conseil du Trésor).

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Le premier ministre Justin Trudeau, accompagné de Chrystia Freeland, vice-première ministre, de Patty Hajdu, ministre de la Santé, de la Dre Theresa Tam, et de Bill Morneau, ministre des Finances

« J’ai hâte de rencontrer les premiers ministres pour discuter des nombreux enjeux qui affectent les Canadiens d’un bout à l’autre du pays. Le coronavirus sera évidemment l’un des principaux éléments de nos entretiens. Le but est de tout faire pour garder les Canadiens en sécurité, et de déterminer comment le gouvernement fédéral peut soutenir les provinces et leur système de soins de santé pour s’attaquer à ce défi », a souligné M. Trudeau.

Conscient également de l’impact négatif de la baisse vertigineuse des prix du pétrole sur le secteur énergétique de l’Alberta et de la Saskatchewan, déjà aux prises avec une crise économique qui dure depuis cinq ans, M. Trudeau a aussi affirmé que ce dossier serait à l’ordre du jour.

Avant de prendre l’avion de Calgary en direction d’Ottawa, mercredi, le premier ministre Jason Kenney a tenu à rappeler certaines demandes de sa province. Il souhaite qu’Ottawa révise les critères du programme de stabilisation financière pour les provinces qui encaissent une diminution soudaine de leurs revenus – une demande formulée il y a plusieurs mois déjà. Si le gouvernement fédéral exauce son souhait, il calcule que sa province devrait toucher une aide rétroactive de 2 milliards de dollars.

Mais on sent que le ton belliqueux qu’il avait adopté envers le gouvernement Trudeau il y a quelques jours à peine a changé. « Un nouveau Jason Kenney plus conciliant émerge de l’écroulement du prix du pétrole de 2020 », titrait en analyse mercredi un journaliste de la CBC en poste à Calgary.

Quand Justin Trudeau a formellement invité ses homologues provinciaux à Ottawa, le 27 février, ses priorités étaient limpides. Il voulait discuter « des moyens pour favoriser la croissance propre et diminuer les effets des changements climatiques et, parallèlement, l’exploitation de nos ressources naturelles de manière durable ». Les transferts en santé, les investissements dans les projets d’infrastructure et les priorités des Premières Nations étaient aussi inscrits à l’ordre du jour. 

Évidemment, le dossier de la lutte contre les changements climatiques vient d’être relégué au bas de la liste, au moment même où l’économie canadienne pourrait sombrer en récession à cause de la pandémie de COVID-19.

« Je dirais que 90 % des discussions vont porter sur le coronavirus et son impact sur l’économie, et peut-être 10 % du temps sera consacré au reste des dossiers », a avancé un ministre influent de l’Ontario à La Presse.

« Au Québec, on a passé au travers de la crise du verglas. On a passé au travers des inondations au Saguenay. On va passer au travers de celle-là aussi en se serrant les coudes et en s’entraidant », a dit la ministre du Développement économique et des Langues officielles, Mélanie Joly.

Depuis le début de l’année, le gouvernement Trudeau a d’ailleurs été assailli par une succession de crises. Il y a d’abord eu l’avion de la compagnie aérienne Ukraine International Airlines qui a été abattu à Téhéran par les forces armées iraniennes, tuant sur le coup les 176 personnes à bord, dont 55 Canadiens. Le Canada tente toujours d’obtenir des réponses et des indemnisations de la part des autorités iraniennes pour les familles des victimes canadiennes.

Ensuite, les barricades sur les voies ferrées qui ont été érigées en signe de solidarité avec les chefs héréditaires de la Première Nation de Wet’suwet’en, en Colombie-Britannique, qui s’opposent à la construction d’un gazoduc sur leur territoire ancestral, ont paralysé le transport ferroviaire pendant près d’un mois.

Et maintenant, la crise provoquée par la propagation du nouveau coronavirus vient complètement chambouler les priorités budgétaires du gouvernement Trudeau.

« Une crise peut revigorer le leadership d’un premier ministre ou l’annihiler », a affirmé à La Presse mercredi l’ancien vice-premier ministre John Manley, qui était aussi ministre des Finances lors de la crise provoquée par le virus du SRAS en 2003. « Dans le cas de la crise du blocus ferroviaire, le premier ministre n’a pas été à la hauteur. Il a une chance de se reprendre s’il gère bien cette nouvelle crise. »