(Ottawa) Justin Trudeau entend utiliser tous les outils diplomatiques à sa disposition durant le voyage qu’il entreprend en Afrique, vendredi, afin de convaincre le plus grand nombre de pays de ce continent d’appuyer le Canada pour l’obtention d’un siège temporaire au Conseil de sécurité de l’ONU.

Même le populaire président des Raptors de Toronto, Masai Ujiri, sera mis à contribution pour cette mission d’une semaine que l’on pourrait qualifier de mission de la dernière chance. 

Alors que des observateurs estiment que le Canada risque de subir une deuxième humiliation en 10 ans dans sa tentative de décrocher un siège au Conseil de sécurité, Justin Trudeau et ses proches collaborateurs lancent donc une campagne tous azimuts en Afrique. Le continent compte en tout 54 pays votants. Ils détiennent un poids considérable pour déterminer le vainqueur, qui doit obtenir au moins 128 appuis sur les 190 membres de l’Assemblée générale de l’ONU lors du vote qui aura lieu en juin.

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Durant sa mission en Afrique, le premier ministre Justin Trudeau se rendra notamment à Addis-Abeba, en Éthiopie, où il assistera à compter de dimanche au 33e sommet de l’Union africaine.

Dans son groupe régional, le Canada se frotte à deux pays, la Norvège et l’Irlande, qui peuvent se targuer de consacrer une part plus importante de leur budget respectif à l’aide étrangère et aux opérations de maintien de la paix – deux politiques qui sont chères aux Nations unies.

La concurrence est forte. Dans la capitale fédérale, les chancelleries européennes estiment que l’Irlande a une nette longueur d’avance sur le Canada pour l’emporter. Et la mission de Justin Trudeau en Afrique arrive vraisemblablement trop tard et est probablement trop modeste.

« Pour le Canada, le chemin vers la victoire est compliqué », soutient une source diplomatique européenne, marquant son scepticisme comme de nombreux experts qui se sont prononcés au cours des derniers mois.

Et la participation timide du Canada aux opérations de maintien de la paix au Mali, qui a pris fin en septembre dernier après 12 mois, n’a pas épaté la galerie. D’ailleurs, la contribution du Canada au maintien de la paix a depuis atteint un nouveau creux historique – relançant les accusations d’hypocrisie envers le gouvernement Trudeau.

Cinq priorités

Pour remporter la victoire, le Canada met en relief cinq priorités qu’il promet de défendre s’il obtient sa place aux côtés des puissances qui détiennent des sièges permanents (les États-Unis, la France, le Royaume-Uni, la Chine et la Russie). Paradoxalement, le maintien de la paix figure en tête de liste, en plus de la lutte contre les changements climatiques, la promotion de la sécurité économique, la promotion de l’égalité des genres et le renforcement du multilatéralisme.

Durant sa mission en Afrique, M. Trudeau se rendra notamment à Addis-Abeba, en Éthiopie, où il assistera à compter de dimanche au 33e sommet de l’Union africaine, qui regroupe l’ensemble des pays du continent. Le premier ministre en profitera pour rencontrer plusieurs leaders africains, notamment le premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed.

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Abiy Ahmed, premier ministre de l'Éthiopie

Par la suite, M. Trudeau ira à Dakar pour y rencontrer le président du Sénégal, Macky Sall, entre autres évènements. Le Sénégal est un allié du Canada de la Francophonie. Avant de rentrer au pays, le premier ministre fera un arrêt le 14 février en Allemagne, où il doit participer à la Conférence de Munich sur la sécurité. Des rencontres avec d’autres leaders internationaux sont à l’ordre du jour.

M. Trudeau n’effectuera pas cette campagne de séduction seul. Ainsi, le volubile ministre des Affaires étrangères François-Philippe Champagne, qui ne chôme pas depuis le début de l’année à la suite de la mort tragique de 57 Canadiens dans l’écrasement d’un avion commercial à Téhéran, abattu par des missiles lancés par les forces armées iraniennes le 8 janvier, et en raison de la crise provoquée par le coronavirus en Chine, sera de la tournée.

Le ministre des Familles, des Enfants et du Développement social, Ahmed Hussen, qui est natif d’Éthiopie et qui est devenu en 2015 le premier député d’origine éthiopienne à faire son entrée à la Chambre des communes, accompagnera également le premier ministre, tout comme la ministre du Commerce international, Mary Ng.

L’ambassadeur du Canada à l’ONU, Marc-André Blanchard, sera aussi du voyage.

Mais M. Trudeau compte aussi sur les talents d’un autre ambassadeur, fort populaire, soit le président des Raptors de Toronto, Masai Ujiri, pour faire mousser la candidature canadienne. M. Ujiri, dont l’équipe a remporté les grands honneurs de la NBA l’an dernier, sera au côté du premier ministre pour assister à un match de basketball à Dakar visant à souligner notamment le leadership des jeunes Sénégalais dans ce sport et aussi la tenue des Jeux olympiques de la jeunesse d’été au Sénégal en 2022.

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Masai Ujiri, président des Raptors de Toronto

« Le sommet de l’Union africaine représente une occasion sans pareille pour le premier ministre de rencontrer les leaders africains. Notre objectif est de démontrer l’engagement du Canada de travailler de concert avec les leaders africains pour maintenir un partenariat fort et durable », a souligné jeudi un haut fonctionnaire, en expliquant les objectifs du premier ministre, écartant d’un revers de la main l’idée que le Canada va droit dans un mur.

Trop peu, trop tard ?

Dans le cas de Justin Trudeau, il s’agira de sa troisième visite sur le continent africain depuis son arrivée au pouvoir en 2015. Durant les trois années où elle a dirigé le ministère des Affaires étrangères, Chrystia Freeland n’a jamais mis les pieds en Afrique, au grand dam de plusieurs leaders. À sa décharge, Mme Freeland, qui est aujourd’hui vice-première ministre et ministre des Affaires intergouvernementales, en avait plein les bras avec les négociations visant à moderniser l’ALENA avec les États-Unis et le Mexique.

Jusqu’ici, le gouvernement Trudeau a dépensé deux millions de dollars pour soutenir la candidature du Canada. Il a fait appel aux services d’anciens premiers ministres – Jean Chrétien, Joe Clark, Jean Charest (Québec) et Bob Rae (Ontario) – pour convaincre les pays hésitants.

« Comme beaucoup d’experts, je pense qu’il est trop peu, trop tard pour M. Trudeau. […] Ce n’est pas le voyage en Afrique qui va changer les choses. Tout le monde souhaite que le Canada ait plus d’influence, mais cela ne se fait pas comme cela à la dernière minute », a laissé tomber jeudi le député conservateur Alain Rayes, lieutenant politique au Québec.

« Est-ce que le gouvernement canadien réalise que les carottes sont cuites et qu’il est temps de se mobiliser pour réussir à renverser le cours des choses ? Je pense que le seul fait qu’il se précipite comme cela à cette rencontre de l’Union africaine nous indique qu’il y a peut-être là une attitude de panique », a abondé le député du Bloc québécois Stéphane Bergeron.

Le chef de la diplomatie canadienne, François-Philippe Champagne, qui a effectué un voyage en Égypte en décembre, affirme au contraire que les jeux sont loin d’être faits. « Quand on regarde la réaction des pays présentement, je pense que les gens voient la candidature du Canada d’un bon œil parce que c’est une vision transatlantique que les gens voudraient voir, un pays francophone, un pays membre du Commonwealth, un pays membre du G7, du G20, a-t-il affirmé jeudi. Et je peux vous dire qu’après avoir rencontré des dirigeants africains, ils souhaitent cette vision du Canada présente au Conseil de sécurité. »

Dès son arrivée au pouvoir, à l’automne 2015, Justin Trudeau avait lancé un message sans équivoque au reste de la planète. « Le Canada est de retour », avait-il proclamé.

Pour plusieurs, le vote qui aura lieu à l’ONU en juin représente un test crucial pour la politique étrangère du gouvernement Trudeau. Le premier ministre osera-t-il affirmer que le Canada est de retour s’il revient les mains vides de New York ?