(OTTAWA) Devenu incontestablement le favori pour succéder à Andrew Scheer à la tête du Parti conservateur après le désistement cette semaine des Jean Charest, Rona Ambrose et Pierre Poilievre, l’ancien ministre de la Justice Peter MacKay lancera officiellement sa campagne à la direction ce samedi matin au Musée de l’industrie de Stellarton, en Nouvelle-Écosse.

Ce n’est pas un hasard s’il a choisi ce lieu rappelant le passé industriel de sa province natale pour confirmer son retour en politique fédérale. Car c’est à cet endroit précis qu’il avait annoncé son intention de briguer la direction du Parti progressiste-conservateur en 2002 afin de succéder à Joe Clark. Quelques mois après avoir remporté cette course, il s’était entendu avec Stephen Harper pour fusionner son parti avec l’Alliance canadienne pour créer le Parti conservateur en 2003. Le but de ce mariage de raison était d’offrir aux électeurs une meilleure solution de rechange aux libéraux, au pouvoir depuis 1993.

C’est également à cet endroit que Peter MacKay a annoncé, en 2015, qu’il quittait la vie politique. Il disait alors vouloir consacrer plus de temps à sa jeune famille et se faire les dents dans le secteur privé. Conscient du rôle crucial qu’a joué M. MacKay pour unir les forces conservatrices d’un bout à l’autre du pays, Stephen Harper avait pris le temps de se rendre sur place pour rendre hommage à son allié, sans qui il ne serait probablement jamais devenu lui-même premier ministre du Canada.

PHOTO ADRIAN WYLD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

L’ancien ministre de la Justice Peter MacKay lancera officiellement sa campagne à la direction ce samedi matin au Musée de l’industrie de Stellarton, en Nouvelle-Écosse.

Auparavant, Stephen Harper lui a exprimé sa gratitude en lui confiant tour à tour les ministères de la Justice, de la Défense et des Affaires étrangères durant son règne à la tête du pays, entre 2006 et 2015.

« Cet endroit a une valeur symbolique importante pour lui », a souligné hier à La Presse une source conservatrice bien au fait des intentions de Peter MacKay, qui a obtenu l’appui d’une dizaine de députés conservateurs jusqu’ici alors que la course au leadership se met en branle.

Le député de la Colombie-Britannique Ed Fast, qui a notamment été ministre du Commerce international dans le gouvernement Harper, a été l’un des premiers à le faire. Le député de l’Alberta Blaine Calkins lui a emboîté le pas. Les députés de l’Ontario Dean Allison, Scot Davidson, Doug Shipley et Colin Carrie en ont fait autant.

La sénatrice conservatrice de la Saskatchewan Denise Batters, qui avait appuyé Peter MacKay en 2002 et qui était une alliée de la première heure d’Andrew Scheer, lui a aussi signifié son appui, tout comme les députés conservateurs du Québec Pierre Paul-Hus et Luc Berthold. 

Au Québec, plusieurs des organisateurs qui comptaient appuyer Jean Charest ou Pierre Poilievre se sont joints à sa campagne.

La ministre des Transports de l’Ontario, Caroline Mulroney, s’est rangée dans son camp au cours des derniers jours. Son frère, Mark Mulroney, bien branché dans le milieu financier de Bay Street à Toronto, sollicite des fonds pour financer sa campagne. La famille Mulroney est proche des MacKay. Le père de Peter MacKay, Elmer MacKay, avait cédé temporairement son siège de Central Nova en 1983 afin de permettre à Brian Mulroney de faire son entrée à la Chambre des communes peu de temps après qu’il eut remporté la course au leadership du Parti progressiste-conservateur.

Dans les rangs conservateurs, Peter MacKay est perçu par beaucoup de gens comme le candidat qui peut maintenir l’unité du parti, souvent mise à rude épreuve quand il se retrouve sur les banquettes de l’opposition et qu’il n’est pas soumis à la discipline qu’impose l’exercice du pouvoir.

Les conservateurs sociaux en profitent alors pour remettre sur le tapis les questions controversées telles que l’avortement et les mariages gais tandis que les conservateurs fiscaux s’impatientent d’avoir à ressasser ces mêmes questions qui sont réglées depuis longtemps dans leur esprit et dans l’esprit d’une grande majorité des électeurs.

À l’évidence, préserver l’unité d’un parti rassemblant des conservateurs de l’Ouest, des Tories de l’Ontario, des Bleus du Québec et des conservateurs des provinces atlantiques s’avère un défi de taille pour tout chef.

« Il a été un champion du mouvement conservateur au pays et il est la personne toute désignée pour nous mener à la victoire et garder notre parti et notre pays forts et unis », avance à ce sujet le député Scot Davidson.

Stephen Harper a démissionné du conseil d’administration du fonds du Parti conservateur, la semaine dernière, pour se donner les coudées franches pour barrer la route à Jean Charest, qui risquait aux yeux de l’ancien premier ministre de mettre en péril « l’ADN du Parti conservateur » s’il en prenait les commandes. M. Harper n’entretient guère les mêmes soupçons envers Peter MacKay, même si ce dernier est issu de la branche progressiste du Parti conservateur.

Certains craignaient que la course actuelle ne se transforme en une guerre intestine par personne interposée entre deux anciens premiers ministres, Stephen Harper et Brian Mulroney. Les désistements de Jean Charest et de Pierre Poilievre cette semaine éliminent cette possibilité.

Les apparatchiks du parti reconnaissent volontiers que Peter MacKay s’est en quelque sorte sacrifié en 2003 dans le but d’unir les forces conservatrices. Il ne s’est pas présenté contre Stephen Harper pour diriger le nouveau Parti conservateur. Et sans la fusion du Parti progressiste-conservateur et de l’Alliance canadienne, les conservateurs auraient été condamnés à un séjour quasi permanent sur les banquettes de l’opposition.

Les membres issus de la branche progressiste du Parti conservateur se frottent les mains à l’idée de voir l’un des leurs prendre les commandes du parti. Un Parti conservateur dirigé par Peter MacKay mettra un solide couvercle sur les questions d’ordre moral.

L’aspirant chef l’a d’ailleurs clairement démontré en fustigeant les propos d’un candidat potentiel, Richard Décarie, qui a travaillé au bureau de Stephen Harper de 2003 à 2005 quand il était chef de l’opposition officielle. Dans une entrevue au réseau CTV Newsnet, mercredi, M. Décarie a déclaré que l’homosexualité était « un choix de vie » et que l’accès à l’avortement ne devrait pas être financé par l’État.

Ces propos ont été dénoncés de manière quasi unanime dans les rangs conservateurs. « Être homosexuel n’est pas un choix et personne ne devrait se présenter aux élections en ayant une plateforme pour faire reculer des droits acquis durement gagnés », a déclaré Peter MacKay.

Certains sont allés jusqu’à inviter le comité organisateur de la course à rejeter la candidature de M. Décarie en raison de ses propos qui frisent, selon la députée albertaine Michelle Rempel Garner, la « bigoterie ».

Le chef du Parti conservateur sera élu le 27 juin à Toronto. La course, qui a officiellement commencé le 13 janvier, a déjà connu son lot de rebondissements. Pour l’heure, Peter MacKay est considéré comme le meneur. Aucun autre aspirant ne dispose d’une organisation capable de rivaliser avec la sienne. Les autres candidats éventuels sont le député Erin O’Toole, qui est arrivé troisième lors de la dernière course en 2017, la députée Marilyn Gladu et le nouveau venu Derek Sloan.

L’homme d’affaires de la Colombie-Britannique Rick Peterson et Richard Décarie ont aussi l’intention d’être de la course. « Il ne faut rien tenir pour acquis. Il ne faut pas pécher par excès de confiance. C’est cela, notre crainte, maintenant. Il faut faire la même campagne, comme si Jean Charest et Pierre Poilievre étaient encore sur les rangs », a-t-on fait valoir dans le camp MacKay.

Et en réponse à ceux qui s’interrogent au sujet de la connaissance du français de Peter MacKay, ce dernier a réussi à surprendre certains de ses supporteurs au cours des derniers jours. Conscient de l’importance de s’exprimer dans les deux langues officielles, l’ex-ministre s’est donné comme mission de convaincre les sceptiques. Après son annonce de samedi à Stellarton, il prendra la direction d’Ottawa pour rencontrer les députés conservateurs du Québec.