(Québec) Pourquoi se relancer dans l’arène politique quand on a une vie confortable comme avocat dans un cabinet prestigieux de Montréal ? Pour accomplir son destin, répondrait probablement Jean Charest. L’ancien premier ministre du Québec est convaincu qu’il peut redevenir chef du Parti conservateur puis occuper le poste de premier ministre du Canada.

Et c’est pourquoi il annoncera dans une douzaine de jours qu’il se lance dans la course à la succession d’Andrew Scheer, un marathon qui se terminera à la fin du mois de juin. Pour l’heure, l’organisation mise en branle autour de Jean Charest prévoit que cette annonce tombera entre le 20 et le 22 janvier, a appris La Presse.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Jean Charest

Au Québec, déjà avant les Fêtes, une brochette de fidèles de M. Charest, conservateurs comme libéraux provinciaux, s’agitait en coulisses. Avocat en vue de Québec, Marc Dorion, issu d’une famille bleue de Québec, Luc Ouellet, senior de la firme National à Québec, François Pilote, ancien collaborateur de M. Charest à Ottawa puis à Québec, Dany Renaud, fondateur de la boîte de publicité Brad, qui suit M. Charest depuis la campagne à la direction de 1993, s’activent au téléphone.

Jean Charest aurait aussi déjà des appuis dans l’Ouest. L’ancien premier ministre de la Saskatchewan Brad Wall a déjà signifié son appui sur Twitter. M. Wall a toujours eu des relations cordiales avec Jason Kenney, le premier ministre albertain, mais ce dernier est resté sur son quant-à-soi ; il espère toujours une candidature de l’Ouest, nommément celle de Rona Ambrose, qui toutefois semble bien peu tentée par la course.

Influent, Brian Mulroney mettra tout son poids derrière Jean Charest. On entend même que sa fille, la ministre ontarienne Caroline Mulroney, pourrait appuyer rapidement l’ancien lieutenant de son père. 

Sans l’appui qu’il espérait de M. Mulroney, contre un autre candidat de l’est du pays, Peter Mackay hésitera avant de faire le saut. Jean Charest a besoin d’appuis de l’Ouest et de l’Ontario, parce qu’il devra se défaire de l’image d’un « candidat du Québec », un positionnement qui ne fait pas recette dans l’Ouest. Le Parti conservateur actuel est bien différent de celui du Parti progressiste-conservateur de Mulroney. Un avant-goût de la bataille sans merci à venir : mercredi, le quotidien torontois Globe and Mail relevait que M. Charest faisait partie de l’équipe d’avocats de McCarthy Tétrault qui conseillent l’entreprise chinoise Huawei dans le dossier de l’extradition de Meng Wanzhou ! 

M. Charest ne s’inquiète guère, semble-t-il, des enquêtes de l’UPAC, dont on attend toujours le dénouement après six ans.

Pas d’appui de Harper

Le parcours de Jean Charest est semé d’obstacles. À la blague, des conservateurs laissent tomber qu’il pourrait être plus difficile pour lui de prendre le fauteuil d’Andrew Scheer que de battre Justin Trudeau à des élections générales. Comme il l’avait indiqué dans une réunion privée avec des gens d’affaires à Montréal, à la mi-décembre, M. Charest s’est entretenu avec l’ancien premier ministre Stephen Harper. Or ce dernier ne lui a pas donné sa bénédiction.

C’est connu, ce n’est pas le grand amour entre MM. Harper et Charest. M. Harper s’était senti floué quand, lors de la campagne électorale de 2008, M. Charest avait recyclé en promesse de baisses d’impôts les fonds débloqués par Ottawa pour clore le débat sur le « déséquilibre fiscal ». 

M. Harper a encore énormément d’ascendant sur le Parti conservateur. D’abord, il en est le fondateur, il avait été en rupture de ban avec le Parti progressiste-conservateur, où les Brian Mulroney et Jean Charest ont fait carrière. Ensuite, il a gagné trois élections générales, un règne plus long que celui de Brian Mulroney. De plus, il reste le responsable du PC Fund, le trésor de guerre du Parti conservateur. Enfin, il incarne les valeurs des conservateurs de l’Ouest, clairement plus à droite. Ce courant se reconnaîtrait davantage dans Pierre Poilievre, un bleu né en Alberta, élu en Ontario.

Un premier coup de sonde réalisé par la maison Léger pour La Presse canadienne indiquait mercredi combien la course était ouverte à ce stade-ci. Pas de candidat qui se démarque clairement : les deux personnes en tête, avec 18 % d’appuis chez les électeurs conservateurs, Rona Ambrose et Stephen Harper, ne seront vraisemblablement pas dans la course. Peter Mackay, qui suit avec 12 % des partisans conservateurs, se désisterait, semble-t-il, si Jean Charest se lançait en piste. Jean Charest ne décroche que 4 % des appuis dans ce sondage où pas moins de 29 % des conservateurs se disent indécis.

Embêtant pour Legault

Pour François Legault, le retour de Jean Charest dans l’arène politique, même au niveau fédéral, n’est pas une bonne nouvelle. Avec le camouflet encaissé par Justin Trudeau aux dernières élections fédérales, M. Legault pouvait se positionner comme le politicien incarnant le mieux les intérêts des électeurs québécois. Si Jean Charest prend les commandes du Parti conservateur, la joute pourrait changer.

Jean Charest pourrait devenir un interlocuteur redoutable à Ottawa par sa connaissance des dossiers québécois. Aussi le sentiment général au gouvernement Legault ne sera-t-il pas de contribuer aux chances de Jean Charest de prendre la tête des conservateurs. D’autant que MM. Legault et Charest n’ont pas d’atomes crochus.

Mais si la structure de la Coalition avenir Québec (CAQ) compte bien des péquistes, elle compte aussi bon nombre d’anciens conservateurs, susceptibles d’être attirés par la course de M. Charest. Catherine Loubier et Carl Vallée venaient de chez M. Harper avant d’aider à l’élection de François Legault, mais il est peu probable qu’ils remettent l’orteil à l’eau à Ottawa. Des employés de cabinet comme Maxime Robert (whip) ou Catherine Major (éducation) viennent aussi des conservateurs. Le gouvernement Legault vient de nommer Alain Sans Cartier, ancien conservateur de Jean Charest, haut fonctionnaire au Conseil exécutif. Mario Lavoie, autre conservateur de longue date venu à Québec avec M. Charest en 1998, est maintenant le responsable des relations fédérales-provinciales au cabinet Legault.

Yannis Harrouche est un ancien organisateur en chef conservateur au Québec, il est maintenant agent de liaison à la CAQ. Organisateur bleu pour le centre du Québec, Jacques Morand a désormais un rôle important dans la structure de la CAQ.

Départ à la retraite

Depuis le 1er janvier, je ne suis plus un employé de La Presse, où j’ai travaillé pendant près de 33 ans. À l’annonce de ma retraite, j’ai reçu de nombreux messages de reconnaissance, de mes collègues, ainsi que des lecteurs, par courriel ou sur Facebook. À tous, je transmets mes remerciements les plus sincères. Mon entente avec La Presse prévoit qu’à titre de pigiste, je pourrai faire un certain nombre d’analyses en 2020.