(Ottawa) Les couloirs du parlement n’avaient pas autant fourmillé de bloquistes depuis un bail. Le nouvel arrivage compte son lot appréciable de députés indépendantistes : de quatre en 2011, ils sont passés à 10 en 2015, puis à 32 en 2019.

La dernière fois qu’une délégation bloquiste d’une ampleur comparable est débarquée à Ottawa, Stéphane Dion était chef du Parti libéral et Michaëlle Jean était gouverneure générale du Canada. C’était en 2008 – le Bloc québécois avait alors fait élire 49 députés.

Dans l’édifice Wellington, à la mi-décembre, une ambiance de rentrée scolaire régnait, alors que les nouveaux élus du Bloc apprivoisaient leur lieu de travail. « As-tu du whisky dans ton bureau ? », s’enquiert une députée en sortant du sien.

Vérification faite, pas chez Martin Champoux. Le frigo est vide ; les tablettes, dégarnies. « Je vais avoir l’air de ne rien lire ! », rigole l’ancien animateur de télévision en se plaçant devant sa bibliothèque dépourvue de bouquins pour les besoins d’une séance photo.

Le nouveau député de Drummond a écrasé le candidat sortant néo-démocrate François Choquette avec 44,8 % des voix. Il est désormais voisin du seul Québécois du Nouveau Parti démocratique qui a survécu à la vague bloquiste d’octobre dernier, Alexandre Boulerice.

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Martin Champoux, député du Bloc québécois à Ottawa

J’ai toujours su que j’allais faire de la politique. J’ai rencontré René Lévesque à l’âge de 8 ans, en 1976. C’est ça qui a semé une braise en moi qui avait juste besoin d’un petit courant d’air pour s’aviver au cours des années.

Martin Champoux, député bloquiste à Ottawa

Alors, lorsqu’il a reçu un appel du chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, il était prêt. « Ça n’a pas été très long », laisse tomber celui qui l’a emporté dans une circonscription que les conservateurs espéraient ravir en y présentant Jessica Ebacher.

Le tournant

Bloquistes et conservateurs convoitaient beaucoup des mêmes circonscriptions, voulant surfer sur la vague de la Coalition avenir Québec (CAQ). Le tournant ? Le face-à-face de TVA, débat où le chef du Bloc s’est imposé face à son vis-à-vis Andrew Scheer, estime M. Champoux.

Sa collègue Kristina Michaud partage le même avis : elle a senti le vent tourner après la joute oratoire. « Quand je rentrais au Tim Hortons à Matane, les gens me disaient à quel point mon chef était bon ! On ne me disait pas ça la première semaine », soutient-elle.

La jeune femme âgée de 26 ans, qui a travaillé au sein du cabinet du chef intérimaire du Parti québécois, Pascal Bérubé, a pour sa part eu le dessus sur le député sortant libéral, Rémi Massé, dans la circonscription d’Avignon–La Mitis–Matane–Matapédia.

Il est difficile d’imaginer qu’une telle moisson aurait été possible sous Martine Ouellet, dont le règne a mené à des querelles intestines. Le parti s’est ressoudé avec l’entrée en scène d’Yves-François Blanchet, les 10 députés sortants ont été réélus… et ont eu du renfort.

Mais il faut faire revenir encore davantage de gens au bercail, et ce n’est pas « en parlant d’indépendance constamment » qu’on parviendra à ramener les « nombreux purs et durs qui étaient là depuis longtemps et qu’on a perdus », estime Kristina Michaud.

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Kristina Michaud, députée du Bloc québécois à Ottawa

On est un peu en reconstruction avec tout ce qui s’est passé. Je pense qu’on peut aller les rechercher graduellement, si on montre qu’on est capables de faire des gains pour le Québec. Je suis pour une approche… plus douce, je dirais.

Kristina Michaud, députée bloquiste à Ottawa

La carte du nationalisme

Dans la dernière ligne droite de la campagne, constatant l’irrésistible montée du Bloc québécois, libéraux et conservateurs avaient brandi l’épouvantail séparatiste afin de tenter de ramener des électeurs dans leur giron.

Car Yves-François Blanchet avait labouré les mêmes terres que la CAQ, jouant à fond la carte du nationalisme. Il s’est défendu d’avoir occulté l’enjeu, mais il a livré le discours le plus résolument indépendantiste à la veille du scrutin, alors que les jeux étaient faits.

« Le ton était bon et le dosage était bon. On n’a pas caché le sujet de la souveraineté, on n’a pas fait semblant que ça n’existait pas. Au contraire : on a ouvert les bras et on a dit qu’on était tous des indépendantistes », commente Martin Champoux.

« Mais ce n’est pas le mandat que nous cherchions, ni celui que les Québécois nous ont donné, enchaîne-t-il. Une vaste proportion des électeurs qui nous ont portés ici s’attendent à ce qu’on représente leurs intérêts au-delà de notre allégeance souverainiste. »

Ce qui ne signifie pas que toutes les prises de position bloquistes aux Communes seront calquées sur celles des caquistes à l’Assemblée nationale. On l’a constaté dans le dossier de la ratification du nouvel ALENA, en décembre dernier.

Alors que le premier ministre François Legault la souhaite, le chef Blanchet a menacé de voter contre le texte. « C’est vous qui avez inventé les restrictions du mandat du Bloc. On a nos propres opinions », a lancé le leader bloquiste en point de presse.

D’ailleurs, gouvernement minoritaire oblige, les reporters aussi sont beaucoup plus nombreux qu’auparavant à fourmiller dans le foyer pour assister à ces points de presse bloquistes. Les « What did he say ? » se font par conséquent entendre plus fréquemment.

Député à Ottawa, résidant au Québec

Être élu au fédéral, ça veut aussi dire travailler dans une autre province que celle dont on veut qu’elle devienne un pays. Mais attention : ça veut dire rester de l’autre côté de la rivière des Outaouais, histoire de continuer à payer ses impôts au Québec.

À plus forte raison pour un député du Bloc. Martin Champoux a ainsi récemment signé un bail à Gatineau, dans un immeuble de logements où plusieurs députés, tous partis confondus, ont élu domicile.

« Steven Guilbeault est dans le même building que moi, et comme il est ministre du Patrimoine et que je m’occupe des communications, il y a des choses dont on devra parler. Donc, à un moment donné, je vais bloquer la porte de l’ascenseur et lui dire : tu ne sors pas d’ici tant qu’on n’aura pas réglé les dossiers », lance-t-il en riant.

Sa collègue Michaud, qui avalera bien des kilomètres entre Ottawa et sa circonscription dans les prochains mois, s’apprêtait à s’installer elle aussi du côté du Québec. À la blague, elle dit que le bureau trois pièces de l’édifice Victoria aurait très bien pu faire l’affaire.

« C’est plus grand que n’importe quel logement que j’aurai, alors j’aurais même peut-être aimé ça demander qu’ils m’installent une douche et j’aurais pu habiter ici, ç’aurait été génial ! »