(Ottawa) L’année 2019 devait être celle des verts. À l’aune des résultats favorables dans plusieurs provinces, on leur prédisait une percée au fédéral. La récolte n’aura finalement pas été aussi faste qu’espéré, mais pour la première fois, le parti a fleuri en Atlantique.

« C’est encore un peu surréaliste ! Je ne sais pas quand je m’habituerai, mais je trouve cela formidable d’être ici ! », lance l’auteure de l’exploit, Jenica Atwin, qui a remporté la mise dans la circonscription de Fredericton, au Nouveau-Brunswick.

Elle arrive dans la capitale fédérale avec l’espoir de porter la vision des jeunes de la côte Est. Car elle n’est « pas nécessairement la même que celle du parti à l’échelle nationale », qui est davantage celle de la côte Ouest, où le parti a des racines plus profondes.

Assise sur un banc au fond d’un couloir de l’édifice de l’Ouest – la nouvelle élue n’avait pas encore pris possession d’un bureau au moment où La Presse l’a rencontrée –, elle semble nerveuse. Elle arrive préparée, un message sur une feuille de son bloc-notes.

Son français n’est pas tout à fait à point, s’excusera-t-elle. L’entrevue se déroulera ainsi parfois dans la langue de Molière, parfois dans celle de Shakespeare (son français n’est pas mal du tout, soit dit en passant).

Évidemment, Jenica Atwin est déçue que seul un trio vert soit parvenu à se sauver avec une victoire le 21 octobre dernier. Sur les milliers de kilomètres qui séparent Fredericton de l’île de Vancouver, le parti a fait chou blanc.

Y compris au Québec, où la population se dit pourtant sensible à l’environnement.

Faire fi de la partisanerie

La députée de 32 ans n’y voit cependant pas de contradiction. « Le Bloc québécois met de l’avant des idées sur la crise climatique aussi, alors je pense qu’ils représentent cette voix. Ils bloquent des choses comme le pipeline. C’est fantastique ! », dit-elle.

« Je suis assise en face d’eux en Chambre et j’ai remarqué que nous avions beaucoup de choses en commun, en fait ! Je me suis souvent levée pour les applaudir », soutient-elle, manifestant la même ouverture que l’ex-chef Elizabeth May à faire fi de la partisanerie.

« Je me suis levée pour applaudir les conservateurs, les libéraux, les néo-démocrates… Je ne suis pas certaine que les gens savent quoi penser de moi ! », lance en riant celle qui a défait un député sortant libéral pour se rendre là où elle est.

La banquette de Jenica Atwin est située dans un coin de la vaste pièce aménagée dans l’ancienne cour intérieure de l’édifice, du côté du gouvernement, en face des bloquistes et des néo-démocrates, et à côté de l’indépendante Jody Wilson-Raybould.

Entre les deux femmes, le courant a instantanément passé – il faut dire que, dans son ancienne vie, la verte enseignait les études autochtones à l’école secondaire. La voici maintenant voisine de siège de la première ministre de la Justice d’origine autochtone.

Si elle a fait le saut en politique, c’est qu’« en ayant travaillé avec de jeunes autochtones, de jeunes autochtones à risque, [elle a] vu à quel point notre système échoue souvent à répondre à leurs besoins ».

Je me suis souvent retrouvée dans des manifestations et, à un certain moment, je me suis dit qu’il était temps de traverser de l’autre côté pour être en mesure de prendre des décisions qui vont être bénéfiques à ceux qui sont si chers à mes yeux.

Jenica Atwin

La députée Atwin formule le souhait qu’elle incitera d’autres à faire le saut. « J’espère que mon arrivée va insuffler de l’énergie et de l’enthousiasme au parti et que ça fera gonfler nos appuis pour les prochaines élections ! », s’exclame-t-elle.

Le prochain scrutin se fera avec un nouveau chef à la barre du Parti vert du Canada. Les candidats désireux de succéder à Elizabeth May commencent à s’afficher en prévision de l’élection du chef, qui doit se faire en octobre prochain.

Clinique d’avortement en péril

PC

La seule clinique d’avortement du Nouveau-Brunswick, la clinique 554, a pignon sur rue dans la circonscription de Jenica Atwin. En octobre dernier, on a appris qu’elle était encore une fois menacée de fermeture, faute de financement adéquat du provincial. « Cet enjeu ne cesse de refaire surface car le gouvernement refuse de financer l’accès à l’avortement en dehors des hôpitaux. On devrait avoir accès à l’avortement dans toutes les régions du Canada. Personne ne peut se soustraire à la loi ; et c’est inconstitutionnel, ce qui se passe au Nouveau-Brunswick », lance la députée. Elle a donc écrit à la ministre fédérale de la Santé, Patty Hajdu, afin de porter la chose à son attention et lui enjoindre de trouver une façon de s’assurer que la Loi canadienne sur la santé soit respectée. La réponse du bureau de la ministre : « Notre gouvernement va toujours défendre le droit des femmes de choisir. Nous allons utiliser tous les outils possibles pour les défendre, y compris ceux prévus par la Loi canadienne sur la santé. »

Le message du bloc-notes

Après une quinzaine de minutes d’entrevue, au détour d’une question sur les femmes en politique, Jenica Atwin saute sur l’occasion de lire le message qu’elle avait préparé. Il est destiné à la mairesse de Montréal, Valérie Plante : « Elle est exceptionnelle. » En bref, « la Ville de Montréal a annoncé qu’elle allait bannir l’utilisation des glyphosates avant la fin de l’année sur son territoire. C’est un enjeu important pour les gens de Fredericton et l’ensemble de la population du Nouveau-Brunswick aussi », lit-elle en concluant avec un rire timide. L’épandage de cette substance contenue dans l’herbicide Roundup, qui est soupçonnée d’être un cancérigène probable, fait l’objet d’une controverse dans sa province également. Selon un reportage de l’émission Enquête diffusé en novembre dernier, les scientifiques qui sonnent l’alarme s’exposent à des représailles, par exemple la perte d’accès à du financement de recherche.