(Québec) Désormais sans applaudissements, sans chahut, on aurait cru les travaux de l’Assemblée nationale à l’abri des explosions si fréquentes dans un passé pas si lointain. Mais la semaine dernière, on a jeté les gants à l’Assemblée nationale. L’ascendant du président François Paradis sur le parquet a été sérieusement écorché.

Le premier ministre François Legault a écarté sans trop d’empathie une seconde requête de la députée libérale de Westmount, Jennifer Maccarone. Mère de deux enfants autistes désormais d’âge majeur, elle demandait qu’une commission parlementaire spéciale se penche sur le passage à l’âge adulte de ces cas exigeants pour les parents.

Écrasée par les problèmes qui s’accumulent, la députée libérale a, en pleurs, regardé les caquistes voter contre sa proposition. Le sang n’a fait qu’un tour du côté du leader parlementaire libéral, l’avocat Marc Tanguay, qui, invoquant le règlement, a demandé que le premier ministre retire ses « propos blessants ». Quand le président Paradis lui a enjoint de s’asseoir et de se taire, Tanguay l’a affronté, demeurant résolument debout.

« Il en est ainsi. Je préside. Je viens de vous le dire. C’est comme ça que ça va se passer », a lancé Paradis, déstabilisé, y allant d’un premier avertissement à l’avocat libéral. Ici, le leader parlementaire caquiste, Simon Jolin-Barrette, n’a pas aidé la cause du président Paradis. Il l’a exhorté à exécuter sa menace : « Sors-le ! », l’illustration d’une familiarité et d’une autorité mal venues à l’endroit de celui qui, au-dessus des lignes partisanes, doit gérer les débats au Salon bleu. « Tutoyer le président, ça le fragilise, c’est mortel ! », observe Jean-Pierre Charbonneau, qui avait occupé la fonction de 1996 à 2002 sous Lucien Bouchard et Bernard Landry.

Le président règne sur l’Assemblée, mais il est en même temps éminemment vulnérable. Si un parti de l’opposition lui retire sa confiance, il est moralement tenu de quitter son poste. Il existe un seul précédent dans l’histoire récente.

En avril 2011, le président Yvon Vallières a cédé sa place, sachant que l’opposition péquiste allait, la semaine suivante, déposer une motion de censure. Il n’avait pas exigé que la libérale Lise Thériault s’excuse d’avoir soutenu que des députés qui voteraient contre le budget seraient mal venus de réclamer des fonds pour leur circonscription.

« On était dans une période où le climat était très difficile. Tous les jours, les partis d’opposition réclamaient une enquête [sur la corruption]. Tous les jours, tu forces le retrait des propos non parlementaires et tu te fais vite accuser de vouloir protéger le gouvernement, se souvient aujourd’hui Yvon Vallières. À un moment, quand l’opposition se sert de la présidence pour définir son adversaire, le gouvernement, il fait chaud sur le Trône ! »

Affable, mesuré, Yvon Vallières n’était pas des plus éloquents comme président. Quand le ton montait, il se contentait de répéter « Collègues, collègues ! » d’un ton monocorde, tandis que les députés s’apostrophaient, sans retenue.

Il faut dire que, depuis plusieurs semaines, l’opposition libérale a pris en grippe François Paradis. L’ancienne vedette de la télé était un animateur animé dont la prestation a évoqué pendant des années celle de Jean-Luc Mongrain, le vrai champion mondial de l’indignation véhémente.

M. Paradis a la même approche, près du peuple, dans son rôle de président. Caméra au cou, il figure dans la publicité pour un concours de photographie de l’Assemblée nationale. Il a lourdement souligné avoir fait baisser les budgets de réceptions et les factures pour l’alcool depuis qu’il a pris les commandes de l’Assemblée.

Mais il a fait un premier faux pas en concoctant une manière de blason pour ses communications personnelles. Une idée que même le premier ministre François Legault n’a pas trouvé heureuse.

Encore excité par les caméras, il afflige les élus de décisions-fleuves dont la lecture monopolise souvent plusieurs minutes au début de la période des questions, le « prime time » que s’arrachent normalement les députés des partis de l’opposition.

Récemment, autre coup de semonce de la part des libéraux. François Paradis avait choisi un conseiller de longue date à l’Assemblée nationale, Siegfried Peters, pour succéder à Michel Bonsaint comme secrétaire général de l’Assemblée. Or, l’opposition libérale s’est offusquée de n’avoir pas été consultée et a exigé que les leaders parlementaires puissent, en personne, prendre la mesure d’éventuels candidats. Au bout de quelques semaines d’un intérim inutile, M. Peters a été choisi, mais les libéraux se sont abstenus au moment du vote. Or, ce poste a, de tout temps, été choisi à l’unanimité des députés.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Depuis plusieurs semaines, l’opposition libérale a pris en grippe le président de l’Assemblée nationale, François Paradis.

Pour l’ancien président péquiste Jean-Pierre Charbonneau, la collision de la semaine dernière « n’est pas si épouvantable ». « Dans le passé, Pierre Paradis, le leader libéral, m’avait “essayé”, je l’avais prévenu deux fois, et il avait baissé les bras avant que je ne l’expulse ! » L’important pour lui est « que le président réussisse à prouver à tout le monde qu’il est fair-play. Qu’il n’est pas biaisé, que ses décisions sont équitables ».

Il est clair, selon M. Charbonneau, que la présidence, toujours issue de la majorité, essuie le ressac, subit par ricochet la morgue de l’opposition envers le gouvernement.

Un président, souligne-t-il, a plusieurs options dans son arsenal pour faire baisser la tension. Il peut suspendre les travaux quelques minutes, convoquer les leaders parlementaires à une rencontre. Tout pour casser le rythme, retourner les boxeurs dans leur coin. Jean-Pierre Charbonneau s’en servait régulièrement, Jacques Chagnon aussi, Michel Bissonnet surtout, qui ne pouvait pas supporter le leader Jean-Marc Fournier, pourtant un libéral, comme lui.

Outre Yvon Vallières, d’autres présidents ont connu leur part de problèmes. En 1994, Roger Bertrand devait contrôler les échanges entre deux rudes jouteurs, les leaders Guy Chevrette et Pierre Paradis.

Louise Harel a aussi eu le sentiment d’avoir été « testée » par des députés. Présidente de l’Assemblée nationale, elle avait servi deux avertissements à un député forte tête. Avant d’aller à l’hallali, elle avait dû suspendre la séance et convoquer les leaders parlementaires. « Ça donnait le temps au leader du gouvernement de convaincre le député de retirer ses paroles. Même si le président a tort, il a toujours raison ! », ironise l’ex-passionaria d’Hochelaga.

Quelques minutes à blaguer derrière le Trône du président. Tout le monde revient à son pupitre. Puis vient le temps de retirer ses propos pour le ministre de la Santé de l'époque... François Legault!