(Québec) C’est peu de dire qu’il y a un an, le nouveau gouvernement Legault avait pris le pouvoir sans idée préconçue sur les gestes à accomplir en environnement. Sur cette question qui monopolise depuis un an le débat public, le programme de la Coalition avenir Québec (CAQ) était une page blanche.

François Legault, il faut le rappeler, se faisait fort de contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre par la voie économique. Le Québec de la CAQ vendrait énormément d’électricité à l’Ontario et aux États-Unis. Un an plus tard, cette avenue paraît bien incertaine. Le gouvernement Ford a indiqué qu’il ne serait pas client d’Hydro-Québec. Le marché de New York, inespéré, a vécu le temps d’un point de presse. Et la liaison avec le Massachusetts paraît désormais semée d’embûches.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, LA PRESSE CANADIENNE

François Legault, premier ministre du Québec

François Legault battait sa coulpe lors du message inaugural de son gouvernement. Il admettait ne pas avoir consacré autant d’efforts que nécessaire à la question environnementale, et promettait de récupérer les bonnes idées, dussent-elles venir d’adversaires politiques. Un an après son élection, le bilan environnemental du gouvernement Legault reste bien mince. On relève le règlement concernant la traçabilité des sols contaminés, un secteur où s’était infiltré le crime organisé. Avec son collègue de l’Énergie, Jonatan Julien, le ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, Benoit Charette, a amélioré le réseau des bornes électriques et prolongé le programme Roulez vert pour les voitures rechargeables. Mais le même gouvernement a choisi de ne pas renouveler le programme RénoVert, pourtant très populaire.

Mercredi, unanimement, l’Assemblée nationale a « déclar[é] à son tour l’urgence climatique et [demandé] au gouvernement du Québec d’harmoniser l’ensemble de ses choix politiques avec cette situation de crise, en prenant tous les moyens nécessaires afin de réduire rapidement et drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre ». Cela frappe l’imagination. Toutes les décisions du gouvernement mesurées à l’aune des émissions polluantes ? Les mémoires destinés au Conseil des ministres posent déjà des questions sur l’impact des propositions pour Montréal, et même sur l’allègement réglementaire. On pourrait ajouter le test de « l’urgence climatique ». Mais autour de la table du Conseil, on entendrait un murmure, un embarras.

Quel sort aurait connu le projet de « troisième lien » routier entre Québec et la Rive-Sud si le gouvernement avait observé ce que vient de lui demander l’Assemblée nationale ? On ne peut que sourire quand François Legault défend son projet en rappelant qu’il permettra aussi aux autos électriques de circuler. 

Feu vert à l’étalement urbain, recours accru à l’« auto solo » : rien de favorable à l’environnement dans ce projet gigantesque. « Je suis quelqu’un de pragmatique. Je ne suis pas un pelleteux de nuages », a répliqué cette semaine M. Legault aux doléances de Québec solidaire.

En mai dernier, la CAQ avait résolument fait porter son congrès sur les questions environnementales. Bien éphémère rapprochement entre François Legault et l’impétueux Dominic Champagne. Cette semaine, devant le manque de gestes concrets de Québec, le même Dominic Champagne traitait de « climatosceptiques » le gouvernement caquiste et son chef – le pire qualificatif qui soit dans la bouche d’un environnementaliste. « Pour l’instant, ils agissent et gouvernent comme des climatosceptiques. Quels gestes ont-ils posés depuis un an ? […] Quel plan concret ? Le gouvernement est dépassé, déphasé par rapport à l’urgence », a lancé M. Champagne, qui, il y a six mois, portait pourtant le macaron de la CAQ à la boutonnière.

Un passage obligé

Le dilemme entre le développement économique et la protection de l’environnement est un passage obligé pour tous les gouvernements. Jean Charest avait finalement dû mettre la hache dans le projet du Suroît, en dépit de l’argument solide d’Hydro-Québec qui réclamait une source d’énergie proche de Montréal – leçon tirée de la crise du verglas de 1998. Pour gagner la circonscription de Bonaventure, Pauline Marois n’avait pas hésité à donner le feu vert à la cimenterie McInnis, à Port-Daniel, encore aujourd’hui le projet industriel le plus polluant de l’histoire du Québec. Ironiquement, l’actuel chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, était à l’époque ministre de l’Environnement du Québec.

Rapidement après son élection, le gouvernement Legault a été placé devant les mêmes choix, déchirants. La ministre de l’Environnement, MarieChantal Chassé, a été vite écrasée par le quatuor économique – François Legault, Eric Girard, Pierre Fitzgibbon et Christian Dubé – quand vint l’heure de donner le feu vert au projet d’usine de production d’urée à Bécancour. L’opinion publique, dans une région qui n’a pas connu de nouveau projet depuis une décennie, pèse plus lourd que le verdict du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE). Le gouvernement Couillard n’avait pas fait davantage attention au BAPE quand il a donné le feu vert au projet de Réseau express métropolitain de la Caisse de dépôt.

Le ministre Benoit Charette fait face au même blocus avec son projet de consigne élargie. En mai dernier, les congressistes de la CAQ avaient pourtant appuyé la création d’« une consigne sur les bouteilles d’eau afin de réduire progressivement leur utilisation ». Plus largement, ils réclamaient du gouvernement de la CAQ la « mise en œuvre d’un plan de retrait du plastique à usage unique ».

Or, l’offensive que M. Charette avait envisagée est repoussée de plusieurs semaines, tant il peine à se trouver des alliés autour de la table du Conseil. Les ténors économiques martèlent que cette initiative cassera les reins d’embouteilleurs québécois – les producteurs des jus Lassonde ou de l’eau Eska. On chuchote contre les « activistes » du cabinet Charette en liaison intraveineuse avec les apôtres de Recyc-Québec. Naguère, le ministre libéral David Heurtel avait aussi été aux prises avec l’escouade économique – Carlos Leitão et le regretté Jacques Daoust n’étaient pas plus conciliants.

Plan de déploiement de « gobeuses » pour les canettes et pour les bouteilles d’eau à usage unique, mise en place de centres de récupération, consigne majorée pour tous les contenants (elle est inchangée depuis plus de 30 ans) : la stratégie très détaillée proposée par le ministre libéral avait été envoyée sur une voie de garage. De bien mauvais augure pour M. Charette.