(Québec) Publiquement, son image est absolument impeccable. Le bon ton, le calme et l’empathie nécessaires pour rassurer des sinistrés ou des électeurs inquiets devant la pagaille qui entache actuellement les activités policières.

Ajoutez l’image d’une jeune femme parfaite, capable de concilier son rôle de mère de famille et de vice-première ministre du Québec. Geneviève Guilbault est la collaboratrice idéale pour un premier ministre.

Mais une fois les portes du cabinet ministériel de la Sécurité publique refermées, c’est une autre histoire. Sautes d’humeur, hargne et rivalité à l’endroit des collègues, aversion viscérale vis-à-vis des « péquistes », des syndicats et même des Montréalais en général : Mme Guilbault a rendu la vie difficile à des collaborateurs que lui avait imposés François Legault.

Chef de cabinet à l’époque de Lucien Bouchard et de Bernard Landry, Alain Lavigne a plus d’une fois eu à affronter la tempête comme responsable du cabinet de la Sécurité publique. « Christ de péquiste ! » lui aurait lancé sa patronne, une invective que cette ex-employée politique libérale utilisait fréquemment – de nombreux péquistes sont aux commandes dans les cabinets ministériels à Québec.

Mme Guilbault a refusé de parler à La Presse. « Elle n’a jamais dit ça ! » a rétorqué son porte-parole Jean-François Del Torchio. Mais ceux qui ont côtoyé la jeune ministre, relancés par La Presse, conservent exactement les mêmes souvenirs de ces jours difficiles. Début juin, La Presse a évoqué ce clivage au sein du cabinet de Mme Guilbault – les péquistes étaient laissés en touche. Déjà, elle avait voulu s’expliquer ; elle jugeait ses collaborateurs « sur leur compétence » et non sur leur origine politique. 

Dès sa prestation de serment, Mme Guilbault a frappé à la porte du bureau de François Legault pour convaincre le chef de cabinet, Martin Koskinen, de nommer un jeune, Cédric Lavoie, comme chef de cabinet. M. Lavoie, un employé politique caquiste dans l’opposition, l’avait aidée dans sa campagne victorieuse dans Louis-Hébert en 2017. Elle a fini par obtenir gain de cause en juillet dernier après le départ d’Alain Lavigne.

Des collègues critiqués

On garde un souvenir impérissable des heures difficiles au cabinet de la Sécurité publique, un cercle étroit où un employé pris en grippe devenait transparent ; la ministre feignait de ne pas le voir, ne lui adressait même plus la parole.

La ministre n’était pas tendre avec ses collègues vus comme des adversaires ; son adjoint parlementaire, l’ex-policier du Service de police de la Ville de Montréal Ian Lafrenière, était vu comme un rival éventuel. Selon nos sources, elle critiquait ouvertement Simon Jolin-Barrette, perçu, autant qu’elle, comme une étoile du gouvernement Legault. Surtout, elle ne comprenait pas qu’une ministre junior comme Caroline Proulx, au Tourisme, ait le même salaire qu’elle.

PHOTO PASCAL RATTHÉ, ARCHIVES LE SOLEIL

Les ministres Geneviève Guilbault et Simon Jolin-Barrette

Lundi, Mme Guilbault a affirmé sans détour qu’elle avait congédié ces collaborateurs, Me Jacqueline Aubé, partie en mai, puis Alain Lavigne et Pierre-Paul Côté, respectivement chef de cabinet et chef de cabinet adjoint, en juillet dernier. « À nous trois, nous comptons 21 ans d’expérience politique », lui a répliqué publiquement, lundi, Me Aubé. Un reportage de TVA laissait entendre que ces départs avaient été déclenchés par la cascade de cafouillages du côté de la police.

Lundi, Mme Guilbault a voulu rectifier les faits ; elle avait elle-même fait place nette, limogé ces collaborateurs pour leur incompétence ! En soirée, elle a dit regretter ses propos sur Twitter. Dans une situation comparable – trois chefs de cabinet en moins d’un an –, la titulaire de la Culture, Nathalie Roy, n’avait pas commenté, une discrétion qui lui avait évité une controverse, il y a quelques jours.

Règle non écrite

Avec sa sortie, la ministre Guilbault a transgressé une règle non écrite du monde politique. Dans le passé, bien des ministres ont accablé d’injures ces collaborateurs sans sécurité d’emploi – les libérales Lise Bacon et Michelle Courchesne, la péquiste Martine Ouellet avaient la réputation d’être de dures patronnes. L’ex-premier ministre Lucien Bouchard et l’ex-ministre libéral Michel Pagé pouvaient aussi perdre patience.

Mais jamais ils n’ont taxé publiquement d’incompétence leurs employés. « Ce n’est pas humain. C’est un manque de cœur, de tact, de savoir-vivre, c’est quelqu’un qui est proche de l’hybris [de la démesure] », a souligné hier une ministre qui en a vu d’autres en politique, la libérale Christine St-Pierre.

Le pouvoir lui est monté à la tête, à cette femme-là.

Christine St-Pierre, députée du Parti libéral

C’est le cabinet de François Legault qui avait décrété que MM. Lavigne et Côté dirigeraient le personnel à la Sécurité publique. Ces choix pourraient être discutés ; M. Lavigne a été longtemps en touche après que le gouvernement libéral n’a pas renouvelé son mandat comme régisseur à la Régie des alcools, des courses et des jeux. Sous le Parti québécois (PQ) de Pauline Marois, on avait ignoré ses appels pressants pour une nomination.

Employé politique péquiste pendant la campagne référendaire, puis chez Bernard Landry, Pierre-Paul Côté était un choix étonnant pour la Sécurité publique. Il était l’un des artisans d’Amaya, la firme de pari sur l’internet, longtemps dans la ligne de mire de l’Autorité des marchés financiers – une enquête qui n’a jamais eu de suite. Ces choix étaient ceux de Pascal Mailhot, issu du PQ lui aussi, qui avait dû, en deux semaines seulement, distribuer des dizaines de postes dans les cabinets ministériels.

Ex-employée politique des ministres Paul Bégin (Justice) et Stéphane Bergeron (Sécurité publique), Me Jacqueline Aubé a exigé hier des excuses publiques de son ancienne patronne. « J’estime aujourd’hui […] avoir été traitée par la ministre de manière injuste, que ses propos au sujet de mes compétences étaient mensongers et qu’elle a porté atteinte à ma réputation. Je lui demande d’avoir la classe et l’abnégation nécessaires pour s’excuser », a souligné Me Aubé dans une déclaration publique.

Le cas de Me Aubé illustre la précarité des employés politiques. Humiliée par une ministre qui lui a fermé sa porte et retiré ses dossiers, Me Aubé avait trouvé un autre emploi, au cabinet de la ministre déléguée à l’Économie, Marie-Ève Proulx. Mais elle s’était vidé le cœur dans un courriel bien senti, transmis à son ex-patronne Me Guilbault. La réaction n’a pas tardé ; le vétéran Jacques Hudon, chef de cabinet de Mme Proulx, a eu le mandat de congédier celle qu’il venait d’embaucher. Ce dernier a refusé de commenter l’affaire, mais a tenu à préciser que « Me Aubé est une personne compétente ! »