(Ottawa) Le premier ministre Justin Trudeau avait reçu beaucoup d’attention, lors de son arrivée au pouvoir, en déclarant avoir nommé un cabinet paritaire « parce qu’on est en 2015 ».

Près de quatre ans plus tard, les libéraux ont fait de l’égalité entre les genres un trait caractéristique de leur mandat, de leur message et même de la personnalité de leur premier ministre — ce qui pourrait à la fois les aider et leur nuire au cours de la campagne électorale à venir.

Kate Bezanson, professeure agrégée en sociologie à l’Université Brock et experte en politique féministe, soutient qu’en matière d’inégalités entre les genres, tout gouvernement qui entend bouleverser le statu quo prête le flanc aux critiques sur deux fronts : il y aura ceux qui lui reprochent d’investir trop d’énergie dans ce domaine et ceux qui pensent qu’il n’en fait pas assez.

Katherine Scott, une chercheuse au Centre canadien de politiques alternatives, relève que le gouvernement de Justin Trudeau a posé des gestes significatifs sur la scène internationale. Elle cite en exemple le montant de 1,4 milliard consacré annuellement à la santé des femmes et des filles — y compris à leurs droits sexuels et reproductifs — à compter de 2023, en vertu d’une annonce faite ce printemps à la conférence Women Deliver.

Mme Scott félicite également les libéraux pour leur stratégie de lutte contre la violence fondée sur le genre, dans laquelle ils ont injecté 100 millions ; leur législation proactive en matière d’équité salariale ; la tenue de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées ; et l’intégration d’une analyse comparative entre les genres dans le processus d’élaboration du budget.

Mais le directeur général de la firme de sondage Abacus Data, David Coletto, ne s’attend pas à ce que le féminisme fasse beaucoup parler durant la campagne — du moins, pas au-delà des efforts des libéraux pour convaincre l’électorat que les conservateurs sont opposés au droit à l’avortement.

Féminisme et portefeuilles

David Coletto croit néanmoins que le féminisme pourra entrer en jeu lorsqu’il sera aussi question d’abordabilité — une priorité pour tous les partis politiques en vue du scrutin du 21 octobre.

Les conservateurs ont déjà fait une annonce en ce sens, plus tôt cet été, en promettant d’instaurer un crédit d’impôt non remboursable pour les nouveaux parents bénéficiant de prestations d’assurance-emploi pendant leur congé de maternité ou de paternité.

Quant aux néo-démocrates, qui ont consacré une section entière de leur programme électoral à la lutte pour l’égalité entre les genres, ils promettent à nouveau des services de garde universels, abordables et sans but lucratif dans l’ensemble du pays.

Les formations politiques n’auront d’autre choix que de réfléchir plus spécifiquement à la manière de rallier les femmes, qui représentaient environ 52 % de l’électorat en 2015.

Les données suggèrent que ces dernières ont tendance à rester plus longtemps indécises que les hommes quant au parti qui obtiendra leur vote, souligne M. Colletto.

Un débat réclamé

Entre-temps, certains groupes de défense des droits des femmes espèrent mettre les questions d’égalité entre les genres plus clairement à l’ordre du jour.

La coalition Up for Debate réclame la tenue d’un débat télévisé sur le sujet — une demande déjà formulée lors des élections de 2015. La joute avait alors avorté après que Thomas Mulcair, le chef du NPD de l’époque, soit revenu sur son engagement parce que l’ex-premier ministre conservateur Stephen Harper n’allait pas participer.

Cette fois, le chef néo-démocrate, Jagmeet Singh, et la chef du Parti vert, Elizabeth May, ont tous deux accepté de prendre part à un tel débat, mais les organisateurs n’ont pas encore reçu la confirmation de la présence de Justin Trudeau et du chef conservateur Andrew Scheer.

La directrice des politiques et des campagnes pour Oxfam Canada, Lauren Ravon, fait valoir qu’un débat permettrait aux chefs de s’affronter et de faire connaître leurs positions en matière de lutte contre les inégalités sexistes.

« Quelles sont les promesses cette fois-ci ? Quel est le plan ? », illustre-t-elle.

Un bilan historique

La professeure Kate Bezanson souligne que, même si le féminisme du présent gouvernement libéral s’articule surtout autour de Trudeau lui-même, l’un des plus grands changements apportés au cours de son mandat est l’engagement plus fort en faveur d’une analyse comparative entre les genres, et ce, à travers l’ensemble des ministères.

Cela implique de réfléchir à la manière dont chaque mesure affecte différemment les hommes et les femmes, tout en tenant compte de facteurs tels que l’âge, le revenu, l’origine ethnique et d’autres éléments qui se recoupent.

« Le bilan politique de ce gouvernement est le plus féministe que le Canada ait jamais connu », tranche-t-elle.