(Québec) La profession journalistique vit une grande précarité alors que la crise des médias plombe les revenus des entreprises de presse au profit des géants américains du web.

Au deuxième jour de la commission parlementaire qui étudie l’avenir des médias, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) parle ni plus ni moins d’un « état d’urgence ». Elle presse le gouvernement Legault d’intervenir afin d’éviter que des médias disparaissent, tout simplement.  

« Les médias d’information ont besoin d’une aide rapide dans un contexte que nous qualifions sans hésiter d’état d’urgence. L’heure n’est plus aux analyses ni aux supputations, mais bien à l’action », écrit le regroupement professionnel qui rassemble 1800 journalistes présents dans plus de 250 médias écrits et électroniques.  

Le président de la FPJQ, le reporter de CTV News Stéphane Giroux, rappelle que plusieurs journalistes quittent par eux-mêmes la profession, alors que les programmes de départs volontaires se multiplient dans les salles de rédaction.

« [Les entreprises de presse] engagent de plus en plus de façon précaire, à l’aide de petits contrats à court terme pour une fraction des salaires qui ont déjà existé dans le milieu », affirme-t-il.  

La présidente de l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ), Gabrielle Brassard-Lecours, témoigne aussi de la précarité dans laquelle ses membres sont plongés. À titre d’exemple, dit-elle, un journal à portée nationale peut proposer le même tarif de pige depuis 25 ans, à environ 50 $ par feuillet.  

« Les conditions socioéconomiques des journalistes indépendants s’apparentent à celles de nombreux artistes et sont caractérisées par la précarité d’emploi, le faible niveau de rémunération et l’absence de protection sociale. Une statistique résume assez bien la situation : dans les 30 dernières années, les 7 revenus moyens des journalistes pigistes ont diminué d’un peu plus de 30 %. Cette stagnation des revenus s’explique essentiellement par l’absence d’indexation des tarifs payés aux journalistes indépendants », écrit l’AJIQ dans son mémoire.  

Une aide qui ne compromet pas l’indépendance

Pour la FPJQ, une aide publique aux entreprises de presse ne compromettrait pas l’indépendance de celles-ci. « S’il ne faut citer qu’un exemple pour contrer l’argument d’une présumée menace à la liberté de la presse, prenons celui de l’un des médias les plus crédibles et qui produit des contenus de très haute qualité mondialement reconnus, la BBC, qui est fortement subventionnée par l’État britannique et qui exerce sa mission en toute indépendance », écrit le regroupement professionnel.  

La FPJQ demande aussi que « Québec diminue l’effort demandé aux journaux, notamment en éliminant la compensation exigée à la presse écrite dans la valorisation des matières résiduelles [et que le gouvernement Legault] demande à Ottawa qu’il impose aux entreprises du GAFA des redevances pour la presse ».

L’AJIQ demande de son côté un « soutien direct aux journalistes indépendants par le biais de bourses de recherche, de formation, de création ou de production », en plus d’un « soutien au fonctionnement ou à projet pour les organismes à but non lucratif », entre autres.  

Télé-Québec pour contrer la « montréalisation » des ondes 

La Centrale des syndicats du Québec (CSQ) demande pour sa part au gouvernement Legault de donner à Télé-Québec « les moyens financiers nécessaires » pour renforcer et élargir sa mission en lui accordant un mandat régional d’information.

La présidente du syndicat, Sonia Ethier, précise que la télévision publique ne doit pas remplacer la presse écrite régionale, « mais elle peut toutefois contribuer à maintenir une vitalité et une diversité d’informations dans toutes les régions. »

« Les problèmes financiers vécus par le Groupe Capitales Médias illustrent parfaitement l’ampleur du phénomène. Plusieurs régions ou localités n’ont déjà plus accès à des nouvelles qui les concernent. De toute évidence, la diversité et la pluralité des sources d’informations, essentielles en démocratie, sont en péril et le gouvernement doit trouver des solutions durables et non ponctuelles », affirme la CSQ.

« À part à Montréal, il y a des enjeux au Québec ! […] Des enjeux économiques, de développement culturel », martèle de son côté Nicole De Sève, consultante du syndicat.

« Plus d’efforts pourraient être consacrés à la production d’émissions d’affaires publiques ou à des bulletins d’informations régionales, ajoute la CSQ. Les infrastructures sont déjà là, les artisans et le personnel aussi. Ce qu’il faut, ce sont les moyens financiers nécessaires pour intégrer un nouveau volet à la programmation régionale et lui permettre d’agir comme agent de développement économique en région. »

Pour assurer la survie des médias d’information privés, la CSQ propose d’utiliser une partie de la TVQ récoltée par la vente de produits numériques intangibles pour « investir dans des mesures de soutien, y compris pour Télé-Québec. »

« Une autre avenue est aussi possible, soit celle d’imiter certains pays européens qui obligent les gros joueurs du domaine des télécommunications à payer des impôts ou des redevances » afin de les distribuer ensuite aux joueurs médiatiques, ajoute-t-on.