Sur un ton électoral, le premier ministre a défendu son bilan des quatre dernières années en matière de relations internationales lors d’un discours à Montréal, hier.

Le premier ministre du Canada a profité de sa tribune devant le Conseil des relations internationales de Montréal (CORIM) pour écorcher ses principaux rivaux aux prochaines élections. Si les conservateurs prennent le pouvoir en octobre, dit-il, « ce serait un retour aux années Harper, pendant lesquelles le Canada faisait moins et comptait moins », a-t-il dit.

« Une chose est claire : leur approche en politique étrangère va affaiblir le Canada sur la scène mondiale », a tonné M. Trudeau en critiquant la position du parti d’Andrew Scheer à l’égard de la montée du populisme, des changements climatiques ou encore de la santé reproductive des femmes à travers le monde. « Ils veulent jouer les gérants d’estrade sans avoir à participer », a ajouté le politicien québécois, qui s’est présenté comme l’antithèse des conservateurs, à quelques jours de la tenue du sommet du G7 à Biarritz, en France, de samedi à lundi.

Pendant les 45 minutes de son discours devant plus de 800 personnes rassemblées à l’hôtel Bonaventure, le premier ministre s’est évertué à dresser un bilan positif de son gouvernement sur la scène mondiale, et tout particulièrement dans les relations épineuses avec l’administration Trump.

En restant disciplinés, en gardant le cap sur nos objectifs communs, en ignorant le Parti conservateur […] qui voulait que nous capitulions, nous avons réussi à faire lever les tarifs [sur l’acier et l’aluminium], nous avons renégocié l’ALENA. Nous avons fait la job !

Justin Trudeau, premier ministre du Canada

« Nous sommes où nous en sommes aujourd’hui parce que nous nous sommes tenus debout et nous n’avons pas quitté la table », a lancé le politicien libéral, en affirmant que les exportations canadiennes vers le marché américain atteignaient de nouveaux records.

« C’est une victoire pour le Canada », a-t-il dit en anglais, dans un discours prononcé à près de 55 % dans la langue de Leonard Cohen, malgré un auditoire majoritairement composé de l’élite économique, politique et universitaire francophone de Montréal.

Quatre ans, deux mondes

Justin Trudeau a noté que le monde dans lequel il a été élu en 2015 n’est plus le même aujourd’hui. « De plus en plus, les pays se replient sur eux-mêmes, succombant à l’attrait facile, mais dangereux du populisme et du nationalisme. Ils choisissent de blâmer les étrangers pour leurs problèmes nationaux et se retranchent derrière leurs frontières », a dit le politicien avant de faire l’éloge de l’approche multilatérale à laquelle souscrit son gouvernement.

Lors de son discours, au cours duquel il a critiqué ouvertement les gouvernements russe et vénézuélien, Justin Trudeau a rappelé son soutien « inébranlable » envers Israël et « la relation très forte » avec le gouvernement ukrainien.

Il a aussi affirmé qu’il suit de près la situation à Hong Kong, où se trouvent plus de 300 000 citoyens canadiens. « Nous savons que la Chine a un système politique et des valeurs bien différentes des nôtres. Avec des partenaires internationaux, nous avons insisté sur la nécessité d’exercer la retenue et d’éviter la violence», a dit le premier ministre au sujet des manifestations en cours dans l’ancienne colonie britannique et le déploiement des troupes chinoises aux portes de Hong Kong.

C'est le moment d'avoir un dialogue et de respecter les libertés fondamentales, incluant le droit de manifester pacifiquement.

Le premier ministre Justin Trudeau

Ottawa est à couteaux tirés avec Pékin depuis l’arrestation au Canada d’une dirigeante de l’entreprise chinoise Huawei et la détention successive de deux citoyens canadiens par le régime communiste chinois.

Saveur électorale

Prenant la parole après Justin Trudeau, le président du conseil d’administration du CORIM et ancien premier ministre péquiste du Québec Pierre Marc Johnson n’a pas manqué de souligner la teneur électorale du discours du premier ministre. « Aux deux tiers de votre discours, on s’est rendu compte qu’octobre n’est pas loin », a dit M. Johnson.

Selon Dimitri Soudas, ancien directeur des communications du gouvernement Harper qui a assisté au discours hier, il est de bonne guerre que le premier ministre libéral ait profité de sa tribune montréalaise pour se positionner à l’approche des élections. « Le CORIM, c’est un endroit pour parler de politique, pour faire son bilan, et le premier ministre l’a fait. Ce qui me surprend, c’est qu’il ne s’est pas attaqué au Nouveau Parti démocratique, et ce, même si c’est son principal adversaire au Québec. C’est aussi intéressant de voir qu’il n’a pas mentionné le nom d’Andrew Scheer une seule fois, mais il a dit le nom de M. Harper cinq fois. On dirait bien qu’il va faire une deuxième fois campagne contre Stephen Harper », a noté M. Soudas, qui œuvre aujourd’hui dans le milieu des affaires.

Ce qu’en pensent des experts en relations internationales

Globalement, ç’a a été un bon discours. Cependant, les positions de Justin Trudeau sur le soutien indéfectible du Canada envers Israël et l’Ukraine sont très électoralistes. Et il y a là deux poids, deux mesures. Le Canada voit un intérêt local à défendre l’Ukraine contre l’invasion russe, mais ne fait pas la même chose à l’égard de l’occupation grandissante israélienne des territoires palestiniens.

François Audet, directeur de l’Institut d’études internationales de Montréal à l’Université du Québec à Montréal

Dans ce discours à saveur électorale, on a pu voir les arguments que Justin Trudeau va mettre de l’avant en campagne. Il a beaucoup parlé de sa gestion du dossier américain et du retour en force du protectionnisme. Son argument est qu’il s’en est bien tiré en renégociant l’ALENA. Le fait que les tarifs douaniers sur l’acier et l’aluminium ont été levés, ça lui donnera pas mal de munitions. Il va mettre l’accent là-dessus.

Frédérick Gagnon, directeur de l’Observatoire sur les États-Unis et titulaire de la Chaire Raoul-Dandurand à l’Université du Québec à Montréal