(NANAIMO, Colombie-Britannique) Au fil des années, Sean Wallington a vu quelques célébrités franchir les portes de sa librairie de livres d’occasion, située dans le sympathique Old Country Market, dans la petite municipalité de Coombs, sur l’île de Vancouver.

Il raconte fièrement, par exemple, que l’acteur, réalisateur et producteur américain Steven Seagal y a déjà fait un arrêt pour bouquiner, alors qu’il parcourait la route boisée qui mène à Tofino, où les plages de sable accessibles à longueur d’année sont considérées comme un véritable paradis pour les surfeurs et les amoureux de la nature.

L’acteur canadien Jason Priestley, qui incarnait Brandon Walsh dans la populaire série américaine Beverly Hills, 90 210 dans les années 90, a également mis les pieds dans son havre de paix, le Cozy Corner Books.

Durant l’été, de nombreux touristes se présentent ainsi à sa librairie, où quelque 200 000 livres, dont une centaine de milliers de bandes dessinées, sont classés minutieusement selon un schéma détaillé affiché sur l’un des murs de son petit bureau. Durant la haute saison, il peut vendre de 600 à 700 livres par jour.

« Les gens viennent par dizaines de milliers ici durant l’été. Je présume qu’ils sont attirés par les chèvres qui broutent sur le toit de l’édifice du marché. C’est une idée stupide, mais ça attire le monde », explique-t-il en faisant allusion aux Goats on the Roof, attraction touristique unique en son genre en Colombie-Britannique, située à deux minutes de marche de sa librairie.

PHOTO FOURNIE PAR JOËL-DENIS BELLAVANCE

Une chèvre broute sur le toit du Old Country Market, à Coombs.

Sean Wallington vend des livres qu’il déniche un peu partout depuis plus de 40 ans. Et même si Justin Trudeau a l’habitude de prendre des vacances en famille à Tofino chaque année, ce dernier n’a jamais mis les pieds dans son établissement, qui tient d’ailleurs un exemplaire d’occasion de la biographie du premier ministre, publiée en 2015, à quelques mois de sa spectaculaire victoire électorale. Le prix de vente est de 16,50 $.

« S’il venait, je lui dirais d’acheter la biographie de Donald Trump et de la lire », lance-t-il à la blague, faisant ainsi un clin d’œil aux relations difficiles entre Justin Trudeau et le très imprévisible président des États-Unis.

La vie coûte cher

Plus sérieusement, si le premier ministre lui rendait visite, Sean Wallington lui parlerait de la hausse du coût de la vie et des tracas administratifs que l’on impose aux petites entreprises.

PHOTO FOURNIE PAR JOËL-DENIS BELLAVANCE

Sean Wallington, propriétaire de la librairie Cozy Corner Books, à Coombs, sur l’île de Vancouver

Je dépense près de 1200 $ par mois uniquement pour l’essence en faisant les 45 km qui séparent Coombs de Nanaimo matin et soir. Ça n’a pas de bon sens. C’est une bonne partie d’un paiement hypothécaire, ça !

Sean Wallington

La Colombie-Britannique impose une taxe sur le carbone depuis environ une décennie. Le prix d’un litre d’essence frise 1,50 $ le litre à plusieurs endroits. Mais ce qui inquiète le plus les gens dans cette province, ce sont les coûts exorbitants des logements. Vancouver demeure en tête du palmarès des villes canadiennes où le prix moyen des maisons est le plus élevé, soit 1,4 million pour une maison unifamiliale et un peu plus d’un million pour un condo. Ces prix rendent l’accès à la propriété quasi impossible pour beaucoup de gens. Ils ont aussi des conséquences sociales énormes : le nombre de sans-abri est en constante hausse non seulement à Vancouver, mais aussi à Victoria, où le temps est encore plus clément l’hiver.

« Comme tout le monde ici, je suis très inquiet de voir que les prix augmentent constamment et que les salaires ne suivent pas, affirme Ralph James, qui travaille pour la firme GardaWorld depuis 30 ans dans la région de Port Alberni. Je ne suis pas inquiet pour moi. J’ai un bon emploi, et j’aurai une pension. Mais je suis inquiet pour ma fille et mes petits-enfants. Si cela continue, nous allons devoir commencer à renoncer à certaines choses comme le câble pour la télévision. Aujourd’hui, avoir un téléphone cellulaire est devenu un luxe. Cela me fait peur. Je suis vraiment inquiet pour l’avenir des jeunes générations. »

Inquiétudes et préoccupations

L’anxiété qu’éprouvent les Canadiens quant à leur avenir ne laisse pas la classe politique indifférente à Ottawa. Depuis quelques mois, le ministre des Finances, Bill Morneau, et le premier ministre Justin Trudeau lui-même font état de ce sentiment dans leurs discours, tout comme le chef du Parti conservateur, Andrew Scheer, et le chef du NPD, Jagmeet Singh. Ce sentiment est largement répandu chez les Canadiens, selon un récent sondage mené pour le compte du quotidien Toronto Star.

Venu profiter du décor enchanteur du terrain de camping Living Forest Oceanside, à Nanaimo, pendant quelques jours, M. James se dit aussi inquiet des conséquences des changements climatiques.

PHOTO FOURNIE PAR JOËL-DENIS BELLAVANCE

Ralph James

Les choses ont changé au cours des dernières années, dit-il. Les inondations sont dévastatrices. Les incendies de forêt sont plus fréquents. Je n’en veux pas à Justin Trudeau. Je crois qu’il fait ce qu’il peut. Il est jeune. Il a des enfants. Il partage mes préoccupations, je pense.

Ralph James

Installé dans sa roulotte cinq terrains plus loin, Dave Lackmanec, de Victoria, dit ne pas suivre la politique fédérale de près à cause de l’omniprésence de Donald Trump dans les médias. « Il y a tellement de nouvelles sur la politique américaine dans notre journal que je ne suis pas beaucoup la politique canadienne », lance-t-il en riant. Mais il croit que sa députée, la leader du Parti vert Elizabeth May, fait un travail impressionnant même si elle dirige une petite équipe. Son parti a réussi à obtenir un deuxième siège à la Chambre des communes le printemps dernier, grâce à la victoire de Paul Manly dans la circonscription de Nanaimo-Ladysmith. « Elle sait se faire entendre », dit M. Lackmanec, qui est responsable de la production artistique dans une station de télé privée de Victoria.

PHOTO CHRIS WATTIE, ARCHIVES REUTERS

Le député vert de Nanaimo-Ladysmith, Paul Manly, élu lors d’une élection partielle tenue le 6 mai dernier, accompagné de la chef Elizabeth May

À l’instar de son concitoyen de Port Alberni, M. Lackmanec se dit très préoccupé par la hausse du coût de la vie.

PHOTO FOURNIE PAR JOËL-DENIS BELLAVANCE

Dave Lackmanec, en compagnie de sa femme, Barb Bracewell, et du frère de cette dernière, Robert Bracewell

On le voit bien à Vancouver, où les prix des maisons sont hors de portée. C’est la même chose à Victoria et à Toronto. Pour les jeunes qui vont à l’université et qui doivent ensuite rembourser leurs dettes d’études, ça devient un rêve impossible.

Dave Lackmanec

Son épouse, Barb Bracewell, travaille au ministère de la Santé de la Colombie-Britannique. Elle estime qu’il faut investir davantage dans les soins et les services en santé mentale. La crise provoquée par la consommation de fentanyl en Colombie-Britannique a fait de nombreuses victimes. La dépendance aux drogues en général a aggravé l’ampleur du problème des sans-abri, notamment à Vancouver. Son neveu est mort, seul, d’une surdose de cocaïne contaminée par du fentanyl.

« J’ignore quelle est la solution de ce problème. Mais le gouvernement doit s’y attaquer », affirme-t-elle.

À une cinquantaine de kilomètres de là, Sean Wallington, assis confortablement dans son fauteuil, y va d’une suggestion : il faut élire un nouveau gouvernement à Ottawa. Et ce nouveau gouvernement doit être dirigé par Elizabeth May.

« J’aimerais beaucoup voir une femme diriger notre pays. Cela provoquerait beaucoup de changements. Nous n’avons jamais élu une femme comme première ministre. Les hommes et les femmes ne réfléchissent pas de la même façon. Et les femmes sont plus motivées que les hommes. Elles s’investissent à fond dans leur travail. Ce serait intéressant de voir ce qu’une femme ferait une fois au pouvoir. On l’a vu en Grande-Bretagne. Ça a provoqué des changements ! », soutient-il en pensant aux prochaines élections.

Vers une lutte serrée en Colombie-Britannique 

La Colombie-Britannique est la province qui compte le plus grand nombre de sièges (42) à Ottawa après l’Ontario (121) et le Québec (78). Contrairement à l’Alberta, qui demeure un bastion conservateur, la lutte s’annonce des plus serrées dans cette province. Les électeurs de la Colombie-Britannique seront donc courtisés par tous les partis politiques, y compris le Parti vert, dont les deux élus viennent de cette province.