(Washington) Justin Trudeau part en mission à Washington avec un double objectif : s’assurer que la ratification de la nouvelle mouture de l’accord de libre-échange demeure sur les rails et, surtout, convaincre son homologue américain de lui prêter main-forte pour dénouer l’impasse entre le Canada et la Chine.

Empêtré depuis des semaines dans une crise diplomatique et commerciale avec Pékin, le premier ministre pourrait bien voir en Donald Trump l’allié dont il a besoin pour se sortir du pétrin alors que le gouvernement chinois ignore Ottawa depuis l’arrestation controversée de la haute dirigeante de Huawei, Meng Wanzhou, en décembre dernier.

« Nous allons parler du défi que pose la Chine sur le système commercial mondial, celui qu’elle pose à nos propres pays, nos propres économies, et nous allons nous assurer que nous puissions travailler ensemble et nous soutenir mutuellement », a brièvement commenté Justin Trudeau avant de s’envoler vers la capitale américaine, en soirée.

Mais à 10 jours du sommet du G20 au Japon – en marge duquel le président américain doit rencontrer le président chinois –, il y a fort à parier que Justin Trudeau jouera ses cartes pour persuader Donald Trump de plaider la cause du Canada devant Xi Jinping, notamment dans l’espoir de faire libérer les deux Canadiens détenus en Chine.

Ottawa compose avec de lourdes représailles de Pékin depuis bientôt sept mois. En plus de l’arrestation « arbitraire » de l’ex-diplomate Michael Kovrig et du consultant Michael Spavor, l’empire du Milieu multiplie les sanctions contre le pays, en bloquant entre autres les exportations du canola canadien et en serrant la vis aux producteurs de porc.

« Le gouvernement et M. Trudeau sont dans une situation extrêmement difficile, presque sans issue, et le seul pays qui peut vraiment les aider à ce stade-ci, ce sont les États-Unis », estime l’ex-ambassadeur du Canada en Chine Guy Saint-Jacques. « À ce sujet, ce n’est pas clair à quel point M. Trump va vouloir se montrer généreux », ajoute-t-il.

Chose certaine : Justin Trudeau devra rappeler aux États-Unis tout ce que le Canada a fait pour eux, poursuit M. Saint-Jacques. « Va falloir leur dire : nous sommes des alliés, on vous aide tout le temps, et c’est à votre tour de nous aider », dit-il.

S’adressant à la presse hier, Justin Trudeau a d’ailleurs bien souligné que les deux pays sont des « amis » et de « proches alliés ».

HUAWEI, LA CLÉ ?

Le président américain, qui se met lui aussi en mode électoral à l’approche de l’élection de 2020, a également maille à partir avec Pékin alors que les deux puissances mondiales se livrent une guerre commerciale, intensifiée depuis mai dernier. L’ordre du jour de la rencontre des deux leaders en marge du sommet du G20 promet d’être chargé.

« Le meilleur scénario » pour le Canada, c’est que les États-Unis et la Chine en viennent ultimement à un accord et que M. Trump accepte que Huawei fasse partie de la solution, estime M. Saint-Jacques. L’ex-ambassadeur ne serait pas surpris que la suspension des accusations contre Meng Wanzhou soit d’ailleurs une condition.

Si c’était le cas, le processus controversé d’extradition de la dirigeante de Huawei serait suspendu au Canada et permettrait à Ottawa de rouvrir le dialogue avec la Chine. 

L’ex-diplomate Ferry de Kerckhove n’est pour sa part pas convaincu que M. Trump ira aussi loin pour les intérêts du Canada s’il n’a pas de gains à faire.

« Huawei est un élément important, mais il faut faire attention parce que M. Trump ne voudra pas lâcher un gros morceau pour une affaire qui n’est pas la sienne. Au mieux, M. Trump va soulever la cause du Canada auprès de Xi Jinping », explique-t-il.

De façon plus réaliste, c’est aussi ce à quoi s’attend M. Saint-Jacques. « Je pense que M. Trump va aborder la question en passant parce que c’est secondaire à ses intérêts et qu’il se fout pas mal du Canada. Il va peut-être dire : “il faut que tu libères les Canadiens”, mais si ce n’est pas accompagné d’une menace, Xi Jinping va passer à une autre question », dit-il.

CAP SUR LA RATIFICATION

En plus de sa rencontre avec M. Trump, Justin Trudeau doit s’entretenir avec la présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, et le chef de la majorité du Sénat, Mitch McConnell, pour mieux s’aligner avec les Américains sur le processus de ratification du nouvel accord de libre-échange nord-américain. La ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland est aussi du voyage.

Évoquant des enjeux qui touchent la protection de l’environnement et le droit des travailleurs, la leader démocrate tarde à donner le feu vert à la ratification de l’accord.

À ce sujet, Ferry de Kerckhove soutient que c’est plutôt M. Trump qui pourrait voir en Justin Trudeau un allié pour « amadouer » Mme Pelosi.

Le Sénat mexicain a d’ailleurs ratifié hier le nouveau traité qui remplacera l’ALENA. Lors de sa visite à Ottawa à la fin du mois de mai, le vice-président américain Mike Pence a promis que les États-Unis procéderaient à la ratification avant la fin de l’été.

Les élus de la Chambre des communes, qui pourraient partir aujourd’hui pour les vacances estivales, risquent d’ailleurs d’être rappelés quelque part cet été pour ratifier l’accord.

Mais il n’y a pas « d’urgence économique », rappelle Roland Paris, ex-conseiller de M. Trudeau en matière d’affaires étrangères. 

Il serait mieux sur le plan politique pour la campagne électorale [fédérale de l’automne] que les trois pays aient ratifié l’accord, mais le statu quo, puisque l’ALENA demeure en vigueur, n’est pas si mal.

Roland Paris, ex-conseiller de Justin Trudeau

À son avis, on ne doit « pas s’attendre à des développements majeurs » lors de cette rencontre bilatérale – la troisième à la Maison-Blanche depuis l’arrivée au pouvoir du chef libéral – entre Donald Trump et Justin Trudeau.

« Je pense que le contexte plus large est que les relations se sont améliorées entre le Canada et les États-Unis depuis l’incident désastreux au sommet du G7 à Charlevoix. […] Je pense que ce voyage servira à maintenir ce momentum plus positif », ajoute le professeur de l’Université d’Ottawa.

Malgré de meilleures relations, les deux politiciens ne tiendront pas de conférence commune au terme de la visite de M. Trudeau à Washington. La prudence sera de mise, estiment d’ailleurs les experts consultés par La Presse, notamment en raison de l’épineux contexte avec la Chine.

Le ministre des Finances Bill Morneau et le ministre de la Défense nationale Harjit Sajjan ont aussi fait le voyage jusqu’à Washington. Un « déjeuner de travail » est prévu en début d’après-midi entre les leaders américains et canadiens.