(Québec) Le gouvernement Legault a offert au lanceur d’alerte Louis Robert de reprendre son emploi, jeudi, après qu’un rapport de la Protectrice du citoyen eut dénoncé des «manquements majeurs» au ministère de l’Agriculture (MAPAQ). Il a toutefois refusé de lui présenter des excuses, et il a rejeté toute la faute sur le dos d’un haut fonctionnaire.

Le ministre de l’Agriculture, André Lamontagne, a annoncé que le sous-ministre Marc Dion a présenté sa démission après le rapport dévastateur, rendu public jeudi matin. Il devait prendre sa retraite dans quelques semaines.

«Malheureusement, le MAPAQ n’a pas été à la hauteur de la situation dans ce dossier précis, a dit le ministre. Il m’importe de restaurer la confiance du public envers l’organisation. Ultimement, c’est le sous-ministre qui était responsable de tout le processus.»

Aucun autre employé du ministère n’a été sanctionné.

M. Lamontagne a affirmé qu’il n’a «jamais» songé à démissionner lui même. Il a rejeté toute responsabilité dans le cafouillage, affirmant que les procédures de congédiement de Louis Robert étaient en cours bien avant sa nomination en octobre 2018.

«Tout le processus qui a mené au congédiement de l’employé – et je ne fais pas de politique là-dessus – a été mené sous l’autre gouvernement, a-t-il dit. Nous n’étions pas en poste. Je n’avais pas été nommé ministre de l’Agriculture.»

Fin janvier, M. Lamontagne a pourtant affirmé avoir autorisé personnellement le renvoi de Louis Robert, laissant entendre que d’autres «facteurs» ont mené à son congédiement. Il s’est rétracté quelques jours plus tard en affirmant avoir commis une «erreur».

M. Robert a travaillé 32 ans au MAPAQ. Il a été congédié en janvier pour avoir dénoncé aux médias l’influence du privé dans la gestion du Centre de recherche sur les grains (CEROM), un organisme largement subventionné par les fonds publics.

«Bris de confidentialité»

Avant d’en arriver là, l’agronome a tenté de sonner l’alarme au sein du MAPAQ. En octobre 2017, il s’est adressé à la fonctionnaire chargée de traiter la divulgation d’actes répréhensibles pour lui signaler la situation.

La fonctionnaire en question, Geneviève Masse, n’a donné aucune suite à ses démarches, estimant que les organismes tiers ne relevaient pas de sa responsabilité. Cette analyse était erronée, conclut la Protectrice.

Qui plus est, Mme Masse a dévoilé l’identité de M. Robert à ses supérieurs. Cette information a été utilisée dans le processus qui a mené à son congédiement, un «bris de confidentialité» dénoncé par Mme Rinfret.

La responsable de l’éthique au ministère, Guylaine Lebel, a pour sa part assuré à M. Robert qu’il recevrait une copie de l’analyse de Mme Masse. Il ne l’a jamais vu.

La Protectrice estime que cette épisode risque de décourager d’autres lanceurs d’alerte, alors qu’une loi a justement été adoptée après la commission Charbonneau pour les protéger.

«Une personne membre du personnel d’un organisme public ou encore tout autre personne qui croirait qu’un acte répréhensible a pu être commis ou serait sur le point d’être commis doit agir, doit pouvoir le faire en toute confidentialité et en toute confiance, a-t-elle dit. Déjà qu’on sait que c’est un geste qui est très courageux.»

Aujourd’hui, M. Robert ne fait plus confiance au processus de dénonciation du ministère, a-t-elle ajouté.

Fonctionnaire promue

L’épisode démontre que Mme Masse avait une « méconnaissance de ses responsabilités » et un «conflit de loyauté». C’est en effet le sous-ministre qui l’avait nommée à son poste et c’est à lui qu’elle devait rapporter d’éventuels actes répréhensibles commis par un employé.

Geneviève Masse a depuis obtenu une promotion. Elle est désormais sous-ministre adjointe au ministère de l’Agriculture.

Sa nomination a été annoncée par le gouvernement Legault le 16 janvier, huit jours avant le congédiement de Louis Robert.

«Trahi»

Louis Robert n’avait pas rappelé La Presse au moment d’écrire ces lignes.

Aux yeux du Syndicat des professionnels du gouvernement (SPGQ), qui représente l’agronome et qui contestait son congédiement, le verdict de la Protectrice du citoyen est sans appel.

«Bien sûr qu’il a été trahi, a dénoncé la présidente du SPGQ, Line Lamarre. C’est tout à fait inacceptable. […] Il est clair pour nous que la liberté d’expression de nos membres va devoir être revue et que leur obligation de loyauté ne peut pas être supérieure à leur obligation de protéger la société.»

Elle s’est réjouie de l’ouverture de M. Lamontagne à réintégrer M. Robert.

Démission réclamée

Pour les partis de l’opposition, le ministre ne peut se laver les mains du cafouillage au MAPAQ.

Le Parti libéral a réclamé la démission de M. Lamontagne.

«Elle est où, la reddition de comptes? a lancé le député libéral Gaétan Barrette. M. Lamontagne, aujourd’hui, il a les mains sales et il veut s’en laver les mains. Ça ne marche pas de même.»

Sans aller jusqu’à réclamer son départ, le député du Parti québécois, Martin Ouellet, a appelé le ministre à accepter une part du blâme.

«Un ministre, c’est un homme d’État, a-t-il dit. Il doit assumer sa partie de responsabilité, il doit corriger le tir.»

La députée de Québec solidaire, Émilise Therrien-Lessard, a appelé le gouvernement Legault à protéger les lanceurs d’alertes dans tous les ministères de l’État.

«Ce qui s’est passé au MAPAQ, ça ne devait pas se passer comme ça, a-t-elle dit. Sur toute la ligne, le MAPAQ a bafoué les droits, a brisé la confiance de M. Robert.»