« Libéral ou Italien ? » C’est la question-choc posée par l’ex-député libéral fédéral de Saint-Léonard–Saint-Michel, Nicola Di Iorio, qui s’insurge contre l’élection d’un candidat non italien à l’assemblée d’investiture. Une première en près de 50 ans.

Le député démissionnaire, qui ne sera pas candidat aux prochaines élections, demande à Justin Trudeau, dans un texte paru dans un journal local de langue italienne, d’annuler le résultat du vote à l’investiture du 27 mai.

C’est Hassan Guillet, ancien imam révélé au grand public par son discours après le drame de la mosquée de Québec, qui a été choisi par les membres comme candidat du Parti libéral du Canada.

« La communauté se sent tassée », déplore M. Di Iorio, dont le siège à la Chambre des communes est vacant depuis sa démission en janvier dernier. En entrevue à La Presse, l’ex-député se confie sur la course à l’investiture, qu’il qualifie de « chaotique ».

Sans parler d’irrégularités, M. Di Iorio se plaint notamment d’une salle trop petite et d’une file d’attente trop longue, ce qui aurait, selon lui, défavorisé les électeurs italiens, en moyenne beaucoup plus âgés. Autour de 600 personnes n’auraient pas pu voter et seraient reparties bredouilles, dénonce-t-il.

« Si on est pour faire des investitures, qu’on en fasse des vraies », a-t-il dit durant l’entrevue, visiblement irrité.

Les libéraux affirment que tout s’est déroulé dans les règles de l’art.

« Le processus d’investiture a été mené en totale conformité avec nos règles nationales de sélection des candidats. » — William Harvey-Blouin, stratège du Parti libéral, dans un courriel

Une deuxième course à l’investiture n’est pas envisagée. Personne ne semble y croire, pas même M. Di Iorio : « Est-ce que je pense que mon parti va faire ça ? Est-ce que je pense que mon chef va faire ça ? J’ai appris à être réaliste dans la vie. »

La réplique d’Hassan Guillet

« C’est de la foutaise », a affirmé d’entrée de jeu Hassan Guillet à propos de la requête de M. Di Iorio. « Il peut dire ce qu’il veut, mais il n’y a aucune raison pour faire une autre course à l’investiture simplement parce qu’il en demande une. »

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

L’imam Hassan Guillet

M. Guillet souligne ses « bons rapports » avec la communauté italienne et rappelle qu’il a commencé son discours de victoire dans la langue de Dante. M. Di Iorio tempère. « Hassan ne s’est jamais manifesté auprès de la communauté italienne de sa vie », soutient-il.

« Je trouve que c’est un faux débat, signale M. Guillet. [M. Di Iorio] avait juste à mobiliser plus de monde, à obtenir la confiance des gens et la confiance du parti. Maintenant, les gens ont choisi. Je ne sais pas pourquoi on s’éternise sur ce débat-là. »

La circonscription Saint-Léonard–Saint-Michel est depuis belle lurette un château fort libéral grâce à une loyauté indéfectible de la population d’origine italienne qui s’y est installée et y a pris racine.

Le président du Congrès national des Italo-Canadiens, Antonio Sciascia, est clair.

« C’est un désastre. Ça nous met en tabarouette, en bon québécois. On a commis une grande bêtise. » — Antonio Sciascia en entrevue avec La Presse

Comme d’autres au sein de la communauté, il préfère imputer la faute à la division du vote italien. Deux candidats d’origine italienne se sont présentés, ce qui a laissé la voie libre à M. Guillet. Francesco Cavaleri, le dauphin de M. Di Iorio, est arrivé troisième. « Je pense qu’il [M. Di Iorio] doit prendre une partie de la responsabilité de ce qui s’est passé à Saint-Léonard », a dit M. Sciascia.

Ce nouveau contexte causera-t-il un réalignement des allégeances politiques dans la circonscription ? S’il est trop tôt pour le dire, selon M. Sciascia, un grand nombre de « mécontents » pourraient retourner leur veste. Pour la première fois, un non-Italien au Parti libéral devra affronter un candidat conservateur italo-québécois connu, l’avocat Ilario Maiolo.

Alors, libéraux ou Italiens ? « Jusqu’à maintenant, libéral et Italien ont toujours été synonymes », a répondu M. Sciascia, sans toutefois se prononcer sur l’avenir.

Qui est Nicola Di Iorio ?

Nicola Di Iorio s’est fait connaître après avoir lancé Cool Taxi, une OBNL qui lutte contre l’alcool au volant. L’avocat spécialisé en droit du travail s’est présenté aux élections fédérales de 2015 pour le Parti libéral du Canada dans Saint-Léonard–Saint-Michel. Son passage en politique a été marqué par de longues périodes d’absence. M. Di Iorio avait annoncé sa démission en avril 2018 pour des « raisons personnelles », mais il s’était ravisé quelques mois plus tard. Alors qu’il était toujours député, il s’est associé au cabinet d’avocats BCF. M. Di Iorio prétendait qu’il avait été libéré par le premier ministre pour travailler sur une « mission secrète », qui reste secrète à ce jour. Il a finalement annoncé sa démission le 29 janvier, après avoir remis 100 000 $ à un organisme non identifié. En entrevue avec La Presse, M. Di Iorio est demeuré évasif sur ce mystérieux revirement de situation. 

Qui étaient les candidats à l’investiture ? 

Le vote à l’investiture de Saint-Léonard–Saint-Michel pour le Parti libéral s’est tenu le 27 mai à la salle de réception Le Rizz, à Saint-Léonard. Trois candidats étaient sur la ligne de départ : Patricia R. Lattanzio, conseillère de la ville pour Ensemble Montréal à Saint-Léonard ; Francesco Cavaleri, avocat chez Cavaleri Donatelli, un bureau situé à Saint-Léonard ; et Hassan Guillet, ingénieur et avocat qui a fait carrière chez Bombardier avant de devenir imam. Selon les règles du parti, une course à trois requiert un vote à deux tours où les électeurs doivent choisir les candidats par ordre de préférence. M. Cavaleri a été exclu au premier tour avec seulement 275 voix, contre 588 pour M. Guillet et 474 pour Mme Lattanzio. C’est finalement Hassan Guillet qui l’a emporté au deuxième tour.