Le gouvernement Legault obtient le feu vert d'un groupe d'experts pour élargir l'accès à l'aide médicale à mourir aux personnes inaptes, comme celles souffrant d'alzheimer, sous certaines conditions.

Selon des documents étoffés que La Presse a obtenus, ce comité recommandera à Québec de permettre d'abréger les souffrances « des personnes devenues inaptes à consentir à leurs soins, lorsqu'elles ont préalablement exprimé leur volonté en ce sens ».

Le groupe d'experts est présidé par Nicole Filion, directrice générale des affaires juridiques du Curateur public, et Jocelyn Maclure, de la Commission de l'éthique en science et en technologie du Québec. Il compte une dizaine de membres : des représentants du monde juridique, du milieu de la santé et des patients, notamment.

En vertu d'une loi adoptée en 2014 à la suite des travaux de la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité, seule une personne apte à donner son consentement, qui a une maladie incurable et qui est en fin de vie peut obtenir l'aide médicale à mourir. Une personne souffrant d'alzheimer ou de démence qui se retrouve dans la même situation ne peut l'obtenir parce qu'elle est inapte à exprimer son consentement.

Après avoir examiné la situation sous tous les angles, le groupe d'experts se prononce en faveur d'un élargissement de l'aide médicale à mourir à ces malades en fonction d'une série de critères, selon les documents que nous avons obtenus, dont une ébauche du rapport final. 

Le groupe propose au gouvernement de « reconnaître et rendre possible la formulation d'une demande anticipée d'aide médicale à mourir », en prévision du jour où l'on deviendrait inapte à exprimer son consentement.

Or, tout Québécois ne pourrait présenter une telle demande anticipée. Le comité suggère en effet que cette demande puisse uniquement « être rédigée après l'obtention du diagnostic d'une maladie grave et incurable ».

Il serait ainsi impossible de faire une demande anticipée alors que l'on est en parfaite santé, au cas où, un jour, l'on serait atteint d'une maladie causant l'inaptitude. Autoriser ce cas de figure aurait impliqué plusieurs difficultés : une personne peut changer d'idée en cours de route et il aurait fallu prévoir un mécanisme, fastidieux, pour qu'elle renouvelle son voeu, par exemple, tous les cinq ans.

À la lumière des recommandations du comité, une personne victime d'un accident vasculaire cérébral de façon tout à fait inattendue, causant des séquelles irréversibles et l'inaptitude, ne pourrait recevoir l'aide médicale à mourir. Car sans diagnostic particulier, elle n'aurait jamais pu faire une demande au préalable, alors qu'elle avait toute sa tête.

Le processus

Selon le groupe d'experts, un malade devrait remplir un formulaire pour présenter une demande anticipée d'aide médicale à mourir. Un médecin devrait le contresigner et confirmer sur le plan clinique « qu'un diagnostic de maladie grave et incurable est établi », que la personne est apte à exprimer son consentement et que la demande est faite de manière « libre et éclairée ».

« Ce processus doit être fait par la personne elle-même devant deux témoins ou sous forme notariée en minute », précise le comité.

Mais quels seraient les critères pour qu'une personne ayant fait une demande anticipée reçoive l'aide médicale à mourir ? En plus d'être majeure et atteinte d'une maladie grave et incurable, elle devrait :

• Avoir une « situation médicale » qui « se caractérise par un déclin avancé et irréversible de ses capacités » ;

• Être « engagée dans une trajectoire de fin de vie pour laquelle sa mort est raisonnablement prévisible, compte tenu de ses circonstances médicales propres, sans pour autant que le médecin n'ait à établir un délai précis quant à son espérance de vie » ;

• « Manifester des souffrances physiques ou psychiques, constantes, importantes et difficiles à soulager, telles qu'évaluées par le médecin et l'équipe soignante multidisciplinaire, dans le respect des volontés exprimées dans la demande » ;

• Obtenir l'avis d'un second médecin, indépendant, qui s'assurerait que les critères sont bel et bien respectés.

Dans son formulaire, une personne désignerait un tiers chargé « d'initier, en son nom, le traitement de sa demande » d'aide médicale à mourir « en temps jugé opportun ».  À défaut d'un tiers, le comité recommande la désignation d'une « autorité externe impartiale dont le mandat, en vertu de la loi, serait de protéger la volonté ainsi que l'intérêt supérieur du patient ».

Il serait possible pour un médecin de refuser une demande d'aide médicale à mourir « pour un motif fondé sur une objection de conscience ». Il devrait toutefois aviser rapidement son établissement de santé pour qu'un collègue se charge de traiter la demande du patient « le plus tôt possible ».

Toutes les demandes anticipées d'aide médicale à mourir devraient être versées à un registre. Les médecins seraient obligés de le consulter.

Par ailleurs, le groupe d'experts recommande de remédier à un problème que rencontrent en ce moment certains malades ayant fait une demande d'aide médicale à mourir. Reconnus admissibles, ils perdent le droit d'abréger leurs souffrances lorsqu'ils deviennent inaptes à consentir aux soins en cours de processus. Le groupe propose qu'une personne qui devient inapte à exprimer son consentement entre le moment où sa demande d'aide médicale à mourir est acceptée et le moment de son administration « conserve son droit de recevoir l'aide médicale à mourir ».

Un « droit conditionnel »

Les membres du groupe d'experts ont approuvé toutes ces recommandations lors de leur 16e rencontre, le 7 mai dernier. Ils doivent se réunir de nouveau plus tard cette semaine. La ministre de la Santé et des Services sociaux, Danielle McCann, attend le rapport final au cours de l'été. Le document doit lui servir de caution intellectuelle en vue de faire avancer le dossier.

« C'est sûr qu'on entend beaucoup dans la population qu'on souhaite qu'on élargisse » l'accès à l'aide médicale à mourir. « Le Québec est rendu à se pencher sur cette question-là : comment nous allons le faire, à quel moment nous allons le faire. C'est évidemment avec les recommandations du groupe d'experts qu'on va travailler », affirmait Mme McCann le 29 mai, au lendemain de la décision de la juge Hélène Di Salvo qui a envoyé Michel Cadotte derrière les barreaux pour deux ans moins un jour pour l'homicide involontaire de sa femme, Jocelyne Lizotte. M. Cadotte disait avoir agi « par compassion », afin de mettre fin aux souffrances de sa femme atteinte de la maladie d'Alzheimer.

Les experts sont d'ailleurs conscients que les attentes de la population sont grandes. Certains reconnaissent même qu'il pourrait y avoir des « déceptions face à [leur] rapport ».

Il faudra faire comprendre que toute personne ne peut obtenir l'aide médicale à mourir « sur demande », que ce n'est pas « un droit constitutionnel », mais un « droit conditionnel », soumis à des critères. Et ce n'est pas parce qu'on la demande que l'on y aura droit automatiquement, peut-on lire dans le procès-verbal d'une réunion.

Selon une ébauche du rapport final, le comité a cherché à ce que ses recommandations « soient susceptibles de rallier le consensus social le plus large et respectueuses des droits et des libertés également garantis à chacun ». Son travail a été « aussi fastidieux que minutieux », précise-t-on.

Les experts sont à l'oeuvre depuis l'automne 2017. Ils avaient reçu initialement leur mandat de Gaétan Barrette, ministre de la Santé et des Services sociaux du gouvernement Couillard.

La promesse de la CAQ

En campagne électorale, la Coalition avenir Québec (CAQ) s'est engagée à tenir des consultations publiques pour qu'une personne puisse faire une demande anticipée d'aide médicale à mourir au cas où, un jour, elle deviendrait inconsciente de façon irréversible. La Commission sur les soins de fin de vie a recommandé dans un rapport récent « qu'une réflexion collective soit enclenchée, par des consultations publiques, sur l'élargissement de l'admissibilité à l'aide médicale à mourir » aux personnes inaptes. Elle dénonce toutefois que des malades admissibles à l'aide médicale à mourir en vertu de la loi actuelle ne la reçoivent pas ou rencontrent des obstacles pour l'obtenir.

Québec peut-il agir sans Ottawa ?

Québec pourrait-il élargir l'accès à l'aide médicale à mourir tout en respectant la législation fédérale ? Des sources péquistes et libérales qui ont été associées à ce dossier ont des avis partagés. La Commission sur les soins de fin de vie laisse entendre que des changements au Code criminel, relevant d'Ottawa, seraient nécessaires. L'enjeu a fait l'objet d'un débat au sein du groupe d'experts, selon les documents que nous avons obtenus. Les uns croient que le Québec ne pourra faire un tel élargissement que si le fédéral amende le Code criminel ; les autres pensent que le Québec est en droit d'agir, plaidant que l'enjeu du consentement aux soins est de compétence provinciale.