(Ottawa) L’ambassadeur de Chine à Ottawa a critiqué le gouvernement canadien, mardi, pour s’être mêlé de manière flagrante de sa politique intérieure, après une déclaration du premier ministre qui soulignait le traitement réservé à la minorité ethnique musulmane des Ouïghours, à l’occasion du 30e anniversaire du massacre de la place Tiananmen.

« La déclaration canadienne comporte diverses accusations sur le système politique chinois, les droits de la personne et la situation religieuse, et critique sans fondement la politique chinoise dans la province du Xinjiang », a déclaré l’ambassadeur Lu Shaye en entrevue avec La Presse canadienne. « Il s’agit d’interférence grossière dans les affaires intérieures de la Chine ; cela bafoue les normes fondamentales régissant les relations internationales et sape la confiance neutre entre la Chine et le Canada. »

Cette réprimande de M. Lu est survenue alors que le gouvernement libéral marchait sur des œufs, mardi, en voulant, d’une part, souligner comme d’autres capitales le 30e anniversaire du massacre de la place Tiananmen, et d’autre part en voulant obtenir la libération des deux ressortissants canadiens emprisonnés en Chine.

Interrogé à ce sujet à Vancouver, mardi matin, le premier ministre Justin Trudeau a prudemment souligné l’anniversaire, en soulignant la répression d’environ un million de Ouïghours dans la province du Xinjiang.

Les Ouïghours musulmans et d’autres minorités seraient détenus dans des camps d’internement chinois, ce qui a suscité des critiques de la part des États-Unis et des Nations unies. La Chine nie l’existence de ces camps, mais affirme offrir une formation volontaire pour prévenir l’extrémisme religieux.

« Nous continuons d’appeler la Chine à respecter les droits de la personne, à respecter le droit de manifester, à respecter la liberté d’expression, à cesser ses actions contre des minorités telles que les Ouïghours dans l’ouest de la Chine », a déclaré le premier ministre Justin Trudeau en réponse à une question sur ces événements, mardi matin à Vancouver.

« Nous avons de réelles inquiétudes concernant le comportement de la Chine en matière de droits de la personne et nous continuerons à plaider — à la fois directement avec les dirigeants chinois, comme chaque fois que je me suis assis avec eux, et indirectement avec nos alliés — pour un meilleur respect des droits de la personne, en cet anniversaire et chaque jour à venir. »

M. Trudeau a offert cette réponse avant même que le gouvernement ne fasse une déclaration officielle à ce sujet. La ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, a publié en début d’après-midi une déclaration où elle indique que « les Canadiens se joignent à d’autres personnes du monde entier pour célébrer le 30e anniversaire de la violente répression contre les citoyens pacifiques et non armés sur la place Tiananmen ».

« Le Canada demande aux autorités chinoises de briser le silence sur ces événements en rendant ouvertement compte des citoyens chinois qui ont été tués, détenus ou portés disparus », écrit-elle. « Trente ans plus tard, la lutte pour les libertés fondamentales se poursuit pour les défenseurs des droits de la personne en Chine, y compris les avocats et les journalistes. Nous exhortons la Chine à respecter toutes ses obligations en matière de droits de la personne et à libérer ceux qui ont été détenus injustement et arbitrairement. »

Washington et l’UE moins prudents

Ottawa semble faire preuve d’une extrême prudence dans ce dossier cette année : les relations avec la Chine sont au plus bas après l’arrestation en décembre de Michael Kovrig et Michael Spavor, accusés par Pékin de menace a la sécurité nationale. Ces arrestations sont généralement vues comme des représailles pour l’arrestation par le Canada de la dirigeante de Huawei, Meng Wangzhou, à la suite d’une demande d’extradition déposée par les États-Unis.

Le secrétaire d’État américain, Mike Pompeo, et la chef de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, ont exhorté les autorités chinoises à faire face à leur décision de tuer des centaines, voire des milliers d’étudiants qui manifestaient en 1989 en faveur de la démocratie.

« Nous saluons les héros du peuple chinois qui se sont bravement tenus debout il y a 30 ans sur la place Tiananmen pour faire respecter leurs droits, a écrit M. Pompeo dans un communiqué publié lundi. Leur courage exemplaire a servi de source d’inspiration aux générations futures qui ont appelé à la liberté et à la démocratie dans le monde entier, à commencer par la chute du mur de Berlin et la fin du communisme en Europe de l’Est dans les mois qui ont suivi.

“Nous exhortons le gouvernement chinois à dresser le bilan complet des personnes tuées ou disparues afin de réconforter les nombreuses victimes de ce sombre chapitre de l’histoire. »

Mme Mogherini, de son côté, a appelé à « la libération immédiate des défenseurs des droits de l’homme et des avocats détenus et condamnés en lien avec ces événements ».

« Le fait de reconnaître ces événements et de se souvenir des personnes tuées, détenues ou disparues dans le cadre des manifestations de la place Tiananmen est important pour les générations futures et pour la mémoire collective », écrit-elle dans une déclaration.

Un sénateur canadien

Au Canada, le sénateur libéral Jim Munson, qui a couvert les événements il y a 30 ans à titre de journaliste à CTV, a semblé être le seul parlementaire à avoir abordé de manière directe les événements, dans une déclaration au Sénat lundi. « Il est difficile de regarder des gens mourir. Il est difficile de voir des gens se faire écraser par des chars d’assaut. Et il est difficile d’être à la morgue de l’hôpital et de jeter un coup d’œil sur les corps qui, il n’y a pas si longtemps encore, scandaient des slogans sur la démocratie et parlaient de liberté », a déclaré M. Munson en entrevue mardi.

« Ce qui me dérange énormément, c’est le révisionnisme pratiqué par le gouvernement chinois et le fait que les jeunes d’aujourd’hui ne sont pas au courant de ce qui s’est passé — et si vous êtes conscients, vous n’osez pas en parler. Si vous êtes au courant, vous avez été alimenté par un discours gouvernemental via un système scolaire ou la propagande, voulant que “cela devait être fait”. Et bien, aucun gouvernement ne doit tuer son propre peuple. »

L’ambassadeur Lu ne s’est pas du tout excusé pour l’utilisation de la force par l’armée chinoise contre des manifestants non armés.

Le gouvernement chinois « est déjà parvenu à une conclusion claire sur les troubles politiques à la fin des années 1980 », a-t-il expliqué. « Les grandes réalisations que nous avons accomplies au cours des 70 dernières années depuis la création de la République populaire de Chine en disent long sur le fait que nous avons choisi la bonne voie de développement, et notre peuple l’a approuvé. »