(Ottawa) Le premier ministre Justin Trudeau confirme qu’il «accepte» les conclusions du rapport d’enquête sur les femmes et filles autochtones disparues et assassinées, incluant l’utilisation du terme «génocide», au centre de nombreux débats depuis lundi.

«Nous avons demandé cette enquête nationale sur les femmes et filles autochtones disparues et assassinées au pays», a indiqué M.  Trudeau, qui participe mardi à une conférence sur l’égalité des sexes à Vancouver.

«Les commissaires avaient le mandat d’écouter la vérité de ces familles et de faire des recommandations. Nous les remercions pour leur travail et nous acceptons leurs conclusions, y compris celle que ce qui s’est passé équivaut à un génocide», a-t-il ajouté, répondant aux questions des journalistes.

Lors de la cérémonie officielle du dépôt du rapport d’enquête lundi à Gatineau, Justin Trudeau n’a pas prononcé une seule fois le mot génocide, parlant plutôt d’une «honte» et d’une journée «inconfortable» pour le Canada et ses institutions. Ses ministres David Lametti et Carolyn Bennett, appelés à réagir, n’ont pas non plus utilisé le terme.

«Il y a plusieurs débats qui se déroulent sur les mots et leur utilisation», a poursuivi le premier ministre Trudeau. «Nous voulons, comme leaders et citoyens, mettre l’accent sur les actions qui doivent être prises [pour mettre fin] à cette tragédie», a-t-il dit.

Justin Trudeau a prononcé une première fois le terme «génocide», dont l’utilisation fait couler l’encre depuis la publication du rapport final, lors de son discours d’ouverture d’une plénière à l’occasion de la conférence Women Deliver.

«Plus tôt aujourd’hui [lundi], les commissaires de l’Enquête nationale ont présenté leur rapport final, dans lequel ils identifient une violence tragique vécue par les femmes et filles autochtones qui équivaut à un génocide», a-t-il dit devant l’auditoire, en appuyant bien sur le mot «génocide». Il l’a aussi répété ce matin avant de prendre les questions.

Acceptation «importante»

Les commissaires ont publié une déclaration après la conférence de presse de M. Trudeau à Vancouver. «L’acceptation, par le gouvernement fédéral, de nos conclusions de fait, tout particulièrement celle portant sur le génocide constitue une acceptation des vérités partagées par les familles et survivantes de la violence», ont-ils écrit.

«Elles n’auront plus à se battre pour faire accepter par tous que ce génocide fait partie de l’histoire du Canada», ont ajouté les quatre commissaires, qui ont également qualifié la journée de «très importante sur le chemin de la vérité et de la réconciliation».

Dans un rapport accablant à l’endroit du gouvernement du Canada et de ceux des provinces et territoires, l’ENFFADA conclut que «nous sommes en présence d’un génocide». Le système colonial, la Loi sur les Indiens, la rafle des années 60 et les pensionnats indiens figurent parmi les fondements de ce «génocide canadien».

Les commissaires ont dû justifier l’emploi du terme, chargé de sens, qui pourrait porter ombrage au reste du rapport et aux témoignages des familles de victimes. Mais selon la commissaire en chef, Marion Buller, cette conclusion était «inévitable», et il est nécessaire que le débat se fasse.

La commission d’enquête a d’ailleurs produit un rapport supplémentaire intitulé Une analyse juridique du génocide pour étayer son raisonnement, notamment en s’appuyant sur des principes de droit international émanant des Nations unies.

Legault ne veut pas d’un débat sémantique

Si Justin Trudeau est à l’aise avec l’utilisation du mot génocide, le premier ministre du Québec, François Legault, affirme pour sa part qu’il ne faut pas s’empêtrer dans un débat sémantique.

«Je trouve ça malheureux ce genre de [débats]. Il y a des femmes qui ont été battues, qui ont été enlevées. J’ai demandé [lundi] au secréraire général de tout faire, dans tous les ministères, pour régler ce problème le plus vite possible. C’est de ça qu’il faut parler. [Il ne faut pas] d’un débat sémantique, pas d’un débat de mot», a-t-il dit mardi à Québec.  

Lundi, M. Legault a affirmé que l’utilisation du mot «génocide» était inappropriée.  

«Un génocide, c’est quand on veut de façon systématique faire disparaître une nation. Je ne pense pas qu’on parle de ça. Mais on parle de quelque chose de vraiment très grave : beaucoup de cas de femmes et de filles qui ont été violentées, qui sont disparues, qui n’ont pas reçu l’aide qu’elles auraient dû recevoir. […] Je ne veux pas minimiser ce qui est arrivé, mais en même temps quand on regarde la définition de ce mot-là, on peut se demander si ça s’applique», affirmait M. Legault lors d’une mêlée de presse.

- Avec Hugo Pilon-Larose, La Presse