(OTTAWA) Le soir de sa victoire aux dépens de son principal rival Maxime Bernier, au 13e et dernier tour de la course à la direction du Parti conservateur, en mai 2017, le quotidien Toronto Star titrait : « Andrew Who ? »

Ce titre au ton moqueur se voulait un clin d’œil historique à une autre manchette du même journal, 41 ans plus tôt, quand les membres du Parti progressiste-conservateur jetèrent leur dévolu sur un jeune politicien, Joe Clark, qui était alors aussi un illustre inconnu issu des provinces de l’Ouest et qui allait devoir se mesurer au premier ministre de l’époque, Pierre Trudeau.

Deux ans après avoir été élu chef, Andrew Scheer tente de répondre à cette fameuse question avec plus de précision, alors que ses troupes se retrouvent en tête dans les sondages à cinq mois des élections fédérales.

Qui est ce jeune politicien au sourire permanent accroché au visage qui vient de souffler ses 40 bougies ? Que ferait un gouvernement conservateur dirigé par Andrew Scheer sur les grands enjeux auxquels le pays est confronté dans un monde marqué depuis deux ans par les politiques d’un président américain hautement imprévisible ?

Depuis quelques semaines, le chef conservateur détaille ses intentions en prononçant des discours sur cinq thèmes majeurs : les affaires étrangères, l’économie, l’immigration, les relations intergouvernementales et l’environnement.

M. Scheer prononcera son quatrième discours sur le thème de la confédération et des relations intergouvernementales demain à Edmonton. Il a choisi la capitale de la province qui ne décolère plus envers les politiques mises de l’avant par le gouvernement Trudeau, notamment celles qui visent à resserrer les études environnementales sur l’exploitation des ressources naturelles, pour aborder le dossier de l’unité nationale. Les griefs de l’Alberta sont tels que certains évoquent sans gêne l’idée de faire l’indépendance de la province.

M. Scheer dévoilera les grandes lignes du plan de son parti en matière de lutte contre les changements climatiques et d’environnement durant un cinquième et dernier discours qu’il doit prononcer au Québec d’ici trois semaines.

Si ces discours ont comme principal objectif de mieux le présenter aux Canadiens, ils visent aussi à le doter d’une sorte d’armure pour neutraliser les attaques qui viendront des libéraux de Justin Trudeau au fur et à mesure que l’on se rapprochera de la campagne électorale.

Certaines de ces attaques ont déjà commencé. S’adressant aux élus municipaux du pays dans le cadre du congrès de la Fédération canadienne des municipalités, vendredi à Québec, le premier ministre Justin Trudeau a multiplié les flèches en direction des conservateurs, les accusant de vouloir à tout prix réduire les dépenses, de réduire les services, d’imposer l’austérité et d’être indifférents aux conséquences des changements climatiques. M. Trudeau a aussi évoqué le spectre des compressions à la Doug Ford, premier ministre de l’Ontario, devenu fort impopulaire après avoir mis la hache dans certains services et imposé des coupes aux municipalités.

« Nous sommes à une élection près d’un retour au temps où l’austérité était la seule politique du gouvernement fédéral », a notamment affirmé M. Trudeau à son auditoire.

Anticipant de telles attaques, Andrew Scheer a annoncé récemment qu’un gouvernement conservateur mettrait cinq ans à rétablir l’équilibre budgétaire, au lieu du calendrier de deux ans qu’il avait défendu durant la course à la direction en 2017. Il s’agit d’un changement de cap majeur, les conservateurs talonnant presque quotidiennement le ministre des Finances Bill Morneau parce qu’il est incapable de dire quand il éliminera le déficit, qui devrait encore friser les 20 milliards de dollars durant le présent exercice financier.

Déclaration coup de poing sur l’immigration

Sur la question de l’immigration, le chef conservateur s’est engagé, dans son discours prononcé à Toronto il y a une dizaine de jours, à mettre fin à l’immigration « illégale » à la frontière canado-américaine. Mais pour contrer les attaques selon lesquelles son parti est anti-immigrants, il y est allé d’une déclaration coup de poing en disant que les bigots, les extrémistes et les racistes n’avaient pas leur place au sein de son parti. 

« Il n’y a absolument aucune place dans un pays paisible et libre comme le Canada pour l’intolérance, le racisme et l’extrémisme de quelque nature que ce soit. Et le Parti conservateur du Canada sera toujours sans équivoque là-dessus, a-t-il dit. J’estime que l’idée que la race, la religion, le genre ou l’orientation sexuelle d’une personne puisse la rendre supérieure aux autres est tout à fait répugnante. Et s’il y a quelqu’un qui est en désaccord avec cela, la porte est là. Vous n’êtes pas le bienvenu ici. »

Avant même qu’il ne prononce son discours, le ministre fédéral de l’Immigration, Ahmed Hussen, l’accusait de reprendre à son compte « la même sorte de rhétorique anti-immigration prônée par l’extrême droite qui s’est généralisée dans les partis populistes de droite partout à travers le monde ».

Scheer précise sa vision

Dans les rangs conservateurs, on soutient que les discours d’Andrew Scheer visent d’abord et avant tout à mieux faire connaître le chef et ses idées. Mais on admet aussi que cela va lui servir « d’armure » durant la campagne électorale qui est pratiquement déjà en branle.

« Ces discours peuvent peut-être servir à construire une armure. Mais ce n’est pas tant cela, l’objectif. Nous avons passé tout l’hiver à jouer un rôle d’opposition très féroce sur SNC-Lavalin. Durant cette période, c’est certain qu’on n’était pas en mode de faire des propositions hyper positives. La réflexion est venue de là », a-t-on expliqué.

De leur côté, les libéraux se frottent les mains de voir ainsi Andrew Scheer préciser sa vision. « Il est évident qu’il essaie de se faire connaître davantage. Au bout du compte, ces discours lui enlèvent aussi des arguments pour nous attaquer. Sur la question du déficit, par exemple, ce sera difficile pour lui de nous attaquer. Il dit lui-même qu’il va faire des déficits, peut-être pas aussi longtemps, mais il dit que ça va lui prendre plus qu’un mandat pour rétablir l’équilibre. On est dans le degré maintenant. On n’est plus dans la différence », a fait valoir une source libérale qui a requis l’anonymat pour s’exprimer plus librement.

Tant les conservateurs que les libéraux conviennent que le véritable test pour le chef conservateur viendra quand il va prononcer son dernier discours sur l’environnement – une question qui risque de s’imposer comme un enjeu dominant de la prochaine campagne.

« C’est sans doute le discours le plus attendu par nos adversaires et les médias », a-t-on convenu dans les rangs conservateurs. Andrew Scheer a déjà indiqué qu’il reprenait les cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) du gouvernement Trudeau, qui sont en réalité les mêmes que celles du gouvernement conservateur de Stephen Harper, soit 30 % sous les niveaux de 2005 d’ici 2030. 

Le chef conservateur a aussi annoncé qu’il abolirait la taxe fédérale sur le carbone, en vigueur dans quatre provinces qui n’ont pas de plan pour réduire les émissions de GES.

« Nous avons bien hâte d’entendre ce discours. Va-t-il annoncer qu’il se retire de l’accord de Paris ? S’il ne le fait pas, comment va-t-il faire pour atteindre les cibles ? Tous les experts le disent. Si tu n’imposes pas un prix sur le carbone, il faut que tu remplaces cela par une réglementation qui risque de coûter plus cher aux entreprises. Il n’y a pas de miracle dans la vie ! », a laissé tomber un stratège libéral.

La solidité de l’armure qu’Andrew Scheer est en train d’enfiler repose donc en grande partie sur ses intentions dans le dossier de l’environnement.