(Ottawa) Le gouvernement fédéral n’a délivré aucun permis à une entreprise canadienne pour expédier des ordures à l’étranger depuis une modification à la réglementation il y a trois ans, ce qui soulève des questions sur tous ces déchets canadiens qui finissent encore dans des pays asiatiques.

Le Canada a imposé une nouvelle réglementation en 2016 afin d’obliger les exportateurs à obtenir un permis pour expédier des déchets que d’autres pays considéreraient comme dangereux. Ces changements ont été apportés à la suite d’un conflit avec les Philippines, relativement à l’envoi de plus de 103 conteneurs d’ordures dans les ports de ce pays en 2013 et 2014, qui étaient étiquetés à tort comme des matières plastiques à recycler.

« Ces déchets ont été expédiés aux Philippines sous le gouvernement conservateur précédent, alors que la réglementation canadienne ne respectait pas les normes internationales énoncées dans la Convention de Bâle », a déclaré Sabrina Kim, porte-parole de la ministre de l’Environnement, Catherine McKenna.

« En 2016, nous avons modifié notre réglementation pour éviter que cette situation ne se reproduise. »

Et pourtant, c’est bel et bien arrivé après. Mardi encore, la Malaisie a indiqué qu’elle réexpédiait au Canada un conteneur rempli à ras bord de déchets canadiens qui, comme les conteneurs philippins, était destiné au recyclage, mais était trop contaminé par des produits non recyclables pour être utilisable.

Cette dernière affaire jette un éclairage nouveau sur ce que Greenpeace Canada appelle le « mythe du recyclage ».

« Je pense qu’il est choquant pour les Canadiens que nous envoyions autant de déchets à l’étranger », a déclaré Sarah King, responsable de la campagne Océans et Plastique chez Greenpeace Canada.

Selon Keith Brooks, directeur des programmes à l’organisme Environmental Defence, les Canadiens ignorent souvent que lorsqu’ils déposent consciencieusement des emballages en plastique et des canettes au recyclage, une bonne quantité de ces matières finit toujours au dépotoir ou est brûlée dans des pays bien loin de chez eux.

« Nous contribuons à un gros problème, a-t-il soutenu. Nous sommes un paria dans le monde à la suite de l’exportation de notre plastique contaminé vers des pays moins développés. C’est honteux. »

Des milliers de tonnes de déchets

Après cinq années de négociations avec les Philippines, notamment pour tenter de convaincre le gouvernement philippin de se débarrasser des ordures localement, le Canada a accepté plus tôt ce mois-ci de reprendre les douzaines de conteneurs expédiés en 2013 et 2014 et d’assumer les frais d’expédition.

La semaine dernière, le gouvernement a signé un contrat avec une grande entreprise de transport maritime pour gérer les déchets. Ceux-ci doivent ensuite être transportés à Vancouver pour être brûlés dans une usine de Burnaby.

Le Canada enquête actuellement sur la situation en Malaisie. Les responsables canadiens ont jusqu’ici refusé de dire si d’autres pays demandaient au Canada de récupérer ses déchets.

Selon Statistique Canada, le pays a exporté 44 800 tonnes de déchets de plastique en 2018, dont une grande partie aux États-Unis. Une fois que les déchets sont envoyés aux États-Unis, on ne sait pas ce qui leur arrive ultimement. M. Brooks a indiqué que les plastiques originaires du Canada sont souvent mélangés à des déchets américains, puis expédiés en Asie.

Le Canada n’est pas seul

D’autres pays font comme le Canada. Selon la Malaisie, les conteneurs du Canada figuraient parmi les 60 importés illégalement de 14 pays, dont les États-Unis, le Japon, la France, l’Australie et le Royaume-Uni.

Les Philippines se sont plaintes de déchets illégaux venant d’Australie et de Corée du Sud. L’Indonésie, le Vietnam et la Thaïlande ont tous signalé une augmentation du nombre de décharges de déchets internationaux sur leur territoire, alors que des propriétaires d’entreprise peu scrupuleux tentent de se lancer dans l’industrie lucrative des déchets.

La Malaisie et les Philippines considèrent que leurs propres entreprises importatrices représentent un élément du problème : elles sont payées pour prendre les plastiques recyclables, puis les jettent dans des décharges ou les brûlent.

Le problème est devenu particulièrement grave depuis que la Chine, autrefois le plus grand importateur mondial de plastiques recyclés, a fermé ses portes aux matériaux étrangers l’année dernière. La Chine a constaté qu’elle éliminait plus qu’elle recyclait, car les matières arrivant dans ses ports étaient souvent trop contaminées.

Interdire les plastiques

Greenpeace Canada croit que les pays qui envoient des ordures ont également le devoir d’enquêter de leur côté. Selon Mme King, le gouvernement libéral a beaucoup parlé du problème du plastique, mais jusqu’à présent, il n’a rien fait à ce sujet.

Les Canadiens produisent 3,25 millions de tonnes de déchets de plastique chaque année. Moins de 10 % des plastiques sont envoyés au recyclage, et ils ne sont pas tous effectivement recyclés.

Mme King affirme que le Canada ne peut absolument pas absorber la quantité de déchets de plastique produits par sa population et d’après elle, l’idée selon laquelle le matériau devrait être brûlé ou recyclé est contre-productive. La combustion de déchets à des fins énergétiques entraîne son lot de problèmes environnementaux, dont la pollution de l’air, des sols et de l’eau, tandis que le recyclage ne fonctionne tout simplement pas, affirme-t-elle.

Elle suggère au Canada d’interdire les plastiques les plus difficiles à recycler — les sacs et contenants pour les plats à emporter — et de s’efforcer de fabriquer des emballages pouvant être réutilisés.