(Québec) François Legault a roulé des mécaniques et promis d’adopter son projet de loi sur la laïcité en bâillonnant le Parlement si nécessaire. Il espère profondément pouvoir l’éviter. Mais il est acquis qu’au moment d’interrompre ses travaux pour l’été, le 14 juin, le projet de loi 21 sera adopté, avec ou sans bâillon.

Le gouvernement a martelé que son projet de loi visant à interdire le port de signes religieux aux juges, aux policiers et aux enseignants était « modéré ». Une posture difficile à défendre s’il lui faut recourir aux forceps pour obtenir son adoption.

Même si on l’évoque souvent, le bâillon parlementaire n’est pas si souvent utilisé ; le leader parlementaire du gouvernement suspend alors les règles, impose un temps de parole limité par député et, au bout du compte, est certain de pouvoir appeler le vote pour l’adoption en troisième et dernière lecture.

Les lois spéciales nécessitent souvent cette mesure d’exception. À sa première année au pouvoir, le gouvernement Charest l’avait largement utilisée, notamment pour une modification très controversée au Code du travail. Sous Robert Bourassa, le leader parlementaire Michel Pagé s’était inscrit aux annales : avec son bâillon parapluie, il avait forcé l’adoption, d’un trait, de 28 projets de loi !

Pour le gouvernement, cette mesure est à utiliser avec précaution. Pour les vieux routiers, imposer l’adoption d’un projet de loi en fin de session est « un cadeau à l’opposition qui, durant tout l’été, pourra dire : “Le gouvernement nous a passé sur le corps !” ».

Inversement, l’opposition n’a pas intérêt à se draper dans une position qui, dans la population, n’emporte pas l’adhésion. C’est pourquoi l’opposition libérale est restée jusqu’ici fort discrète sur son plan, bien qu’en privé, plusieurs élus libéraux ne sont pas partants pour la guerre finale. Au Parti libéral, on espère un amendement de la onzième heure : que ceux qui ont entamé des études en pédagogie bénéficient de la disposition de dérogation qui les soustrairait à la loi.

Principal indice : personne ne parle de bloquer le projet de loi par une obstruction systématique (filibuster). Le caucus des députés libéraux est divisé ; on ne souhaite pas prolonger inutilement ce débat, alors pas question d’obstruction de leur côté, mais ils ne se feront pas bousculer. Le député de Québec solidaire (QS) Sol Zanetti a promis que sa formation utiliserait tout le temps disponible pour débattre du projet de loi. Avec 10 députés, et un nombre restreint d’intervenants en commission parlementaire, QS ne pourra longtemps bloquer un projet de loi. Le gouvernement est majoritaire et aura, de surcroît, l’appui du Parti québécois.

Le projet de loi sur la laïcité est le seul enjeu de la fin de session parlementaire. Il fait partie des cinq pièces qu’aimerait voir adopter le gouvernement caquiste.

La semaine dernière, l’Assemblée nationale a adopté le projet de loi 1 qui fera que les nominations des patrons de l’Unité permanente anticorruption et de la Sûreté du Québec devront avoir l’appui des deux tiers des députés à l’Assemblée nationale. La ministre de la Sécurité publique Geneviève Guilbault pensait pouvoir expédier l’adoption en un tournemain, en deux séances. Mal lui en prit, les libéraux l’ont forcée à subir plusieurs heures d’échanges en commission parlementaire.

Le projet de loi 2, qui veut porter à 21 ans l’âge légal pour consommer du cannabis, n’est pas au sommet des priorités de la Coalition avenir Québec. On attendra l’automne. Même au gouvernement, on est conscient qu’il s’agit d’un changement important qui ne comporte pas d’urgence politiquement. On modifie un régime de droit, une réforme ambitieuse, et à Québec, on estime ne pas être à deux mois près. L’opposition libérale a proposé une suspension de 12 mois pour l’étude de ce projet de loi, rappelant que le projet de loi 57 adopté sous Philippe Couillard constituait déjà un changement important que la société devait assimiler.

À propos du projet de loi 9 sur l’immigration, le gouvernement sent une urgence avec la pénurie de main-d’œuvre. Mais avec des décisions défavorables de tribunaux, le projet n’est pas sur une voie rapide au Parlement. Il est nécessaire pour permettre à Québec de déployer sa plateforme Arrima, qui permet de sélectionner les candidats à l’immigration. Le projet de loi permet aussi d’annuler 18 000 dossiers de demandeurs d’asile. Forcé par le tribunal, le ministère de Simon Jolin-Barrette est en train de traiter ces dossiers.

Le projet de loi 12, qui précisera la portée du droit à la gratuité scolaire, doit être adopté avant la prochaine rentrée scolaire. Les commissions scolaires veulent être à l’abri d’actions collectives de parents qui refusent ces factures. Les partis de l’opposition critiquent un projet qui vient confirmer la légitimité de ces frais, mais on peut déjà penser qu’ils se contenteront d’un débat pour la forme en fin de session.

Sur le projet de loi 17, qui touche l’industrie du taxi, on ne constate pas davantage de tensions. Le gouvernement a annoncé les compensations pour les propriétaires de permis, au prix payé à l’époque, ce qui fait grincer des dents dans l’industrie. François Legault souhaiterait son adoption avant l’été, mais encore là, l’intensité n’est pas celle du projet de loi sur la laïcité. Le gouvernement s’est déjà engagé à verser 700 millions de compensations aux chauffeurs. Les libéraux avaient versé une première somme de 250 millions en sachant très bien que ce n’était qu’un premier versement, explique-t-on.