(Ottawa) Le gouvernement Trudeau commence à flirter avec l’idée de développer une stratégie pour déplacer les résidants des zones inondables, mais contrairement au gouvernement Legault, il n’est pas prêt à s’engager à payer une partie de la note.

Le premier ministre Justin Trudeau a avancé dimanche, pour la première fois, que lorsque les eaux auront reculé, il sera impératif d’avoir « de sérieuses réflexions et discussions » sur « comment on va rebâtir et où on va le faire ».

« Il va falloir qu’on réfléchisse sur la façon dont on peut s’assurer que ce n’est pas chaque printemps que des citoyens doivent faire face à ce genre de crise-là », a-t-il poursuivi.

Son ministre de la Sécurité publique, Ralph Goodale, est allé un peu plus loin, hier, en citant les inondations historiques de High River, en Alberta, en 2013. La municipalité avait ensuite pris la décision « très difficile » de ne pas reconstruire dans la plaine inondable.

« Cette propriété est maintenant utilisée à d’autres fins publiques, comme les parcs, les loisirs, etc., mais ils ont décidé de ne pas reconstruire de propriétés commerciales ou résidentielles dans cette zone, car c’était trop dangereux », a-t-il affirmé lors d’une entrevue sur les ondes de CTV.

« Vous devez regarder la réalité de la situation. S’il est très clair qu’une propriété se trouve dans une zone inondable, ce n’est pas une bonne politique publique, pas une bonne conduite personnelle, de simplement reconstruire, de faire la même chose au même endroit et de s’attendre à ce que les conséquences soient différentes », a ajouté M. Goodale.

Le ministre de l’Infrastructure et des Collectivités, François-Philippe Champagne, abonde dans le même sens, estimant qu’une « réflexion nationale » s’impose sur les risques de reconstruire en zone inondable.

« Il y a deux [possibilités] : les autorités locales et provinciales pourraient penser à la relocalisation et il y a d’autres régions où l’on peut s’adapter aux changements climatiques en construisant des digues, par exemple. »

— François-Philippe Champagne, ministre de l’Infrastructure et des Collectivités, en entrevue à La Presse

Si le gouvernement de François Legault a promptement évoqué des scénarios de financement pour inciter les résidants des zones à risque à s’en aller, au fédéral, on n’est pas prêt à promettre de l’argent à cette fin. Le cabinet de Ralph Goodale n’a pas voulu répondre à cette question hier, se contentant de renvoyer La Presse à l’entrevue accordée à CTV.

La ministre québécoise de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, a soutenu en point de presse hier que « tout le monde peut participer à la réflexion » et que « si le gouvernement fédéral veut être un partenaire pour financer des actions en ce sens-là, bien sûr que nous serons intéressés ».

Main tendue aux provinces

François-Philippe Champagne promet pour sa part que les villes pourront recevoir une aide financière d’Ottawa pour reconstruire ou déplacer à l’extérieur des zones inondables des bâtiments publics « jugés critiques », comme une usine de traitement des eaux usées, par exemple.

« À la vue de la saison de construction qui approche, je serais tout à fait disposé à regarder de façon prioritaire et urgente les projets qu’on me soumettra. »

— François-Philippe Champagne, ministre de l’Infrastructure et des Collectivités, en entrevue à La Presse

Le Fonds d’atténuation et d’adaptation en matière de catastrophe dispose d’une enveloppe de 2 milliards de dollars pour des projets de 20 millions et plus.

Les plus petites municipalités peuvent aussi se tourner vers le programme d’infrastructure « Investir dans le Canada », mis en œuvre par l’entremise de l’entente bilatérale entre Québec et Ottawa en juin 2018, qui dispose encore de 1 milliard de dollars à dépenser.

« On parle dans ce cas-ci de construire des digues ou d’adapter le territoire pour prévenir les inondations lors des prochaines crues », illustre-t-il.

Au Bloc québécois, le député Luc Thériault exhorte le gouvernement Trudeau à délier les cordons de la bourse, et vite. « Ils devraient au moins accoter les montants dont le gouvernement [québécois] a fait don à la Croix-Rouge, a-t-il dit en point de presse. Le gouvernement devrait déjà annoncer ses couleurs. »

À ce propos, le gouvernement Trudeau demeure des plus évasifs. « À l’heure actuelle, notre objectif est de fournir l’aide d’urgence afin d’aider à sauver les vies et les biens. Nous sommes engagés à travailler ensemble sur l’intervention et le rétablissement », a déclaré Scott Bardsley, porte-parole du bureau du ministre Goodale.

Ces hésitations alimentent les craintes dans le camp des néo-démocrates. « Est-ce qu’une fois l’eau retirée, la facture va suivre ? », s’est demandé à voix haute le député Robert Aubin. « Je vais le croire quand je vais le voir », a-t-il ajouté.

Inondations et plans climatiques

La ministre fédérale de l’Environnement, Catherine McKenna, a utilisé les inondations comme prétexte pour attaquer le plan environnemental qu’a promis de déposer sous peu le chef conservateur Andrew Scheer.

« Nous savons que son plan est de ne rien faire pour les changements climatiques. Nous voyons qu’il travaille avec des premiers ministres conservateurs provinciaux qui veulent faire beaucoup moins », a-t-elle affirmé hier. La ministre a réitéré que les libéraux comptaient en faire un enjeu électoral : elle a plaidé que les Canadiens devront choisir entre un programme conservateur élaboré « avec des compagnies pétrolières, des lobbyistes » et le plan libéral de tarification du carbone « ambitieux ».

Le chef conservateur Andrew Scheer a annoncé, samedi dernier, qu’il dévoilerait son plan d’ici la fin de juin. S’il est demeuré avare de détails sur le contenu, il a néanmoins spécifié en entrevue avec La Presse que les cibles de réduction de gaz à effet de serre y seraient chiffrées et qu’elles respecteraient les obligations internationales du Canada.

Il avait alors souligné – comme plusieurs rapports en ont fait état ces derniers mois – que le gouvernement Trudeau ne parviendrait pas à atteindre la cible de réduction qu’il s’est fixée, c’est-à-dire de faire baisser ses émissions de 30 % d’ici 2030 par rapport au niveau de 2005.