(Ottawa) Des opinions « diamétralement opposées » : c’est ce qui se dégage de la consultation qu’a menée le gouvernement Trudeau sur la possibilité d’interdire les armes de poing et les armes d’assaut au pays.

Les libéraux sont donc de retour à la case départ, comprend-on à la lecture du rapport sommaire rendu public aujourd’hui. « Les points de vue sont très divergents sur la question de l’interdiction et de la restriction de l’accès », peut-on y lire d’entrée de jeu.

« Dans les deux camps, de nombreux intervenants ont des opinions très tranchées sur l’interdiction », y note-t-on. L’emploi même du terme « arme d’assaut » a fait tiquer des gens qui ont participé à l’exercice, si bien que le gouvernement a revu le vocable.

Car si, dans la lettre de mandat de Bill Blair, le ministre de la Sécurité frontalière et de la Réduction du crime organisé, on parlait d’« armes d’assaut », dans le document publié aujourd’hui, on préconise plutôt le terme « armes à feu de style arme d’assaut ».

« Les intervenants qui s’opposaient à une interdiction ont soulevé une vive préoccupation, l’expression constituant selon eux “un manque de respect à l’égard de la communauté des armes à feu parce qu’elle contribue à répandre la peur », note-t-on.

« L’expression “arme à feu de style arme d’assaut” a depuis été adoptée », est-il écrit.

Consultation en ligne critiquée

Le gouvernement a mené cette consultation sur trois fronts. On a organisé huit tables rondes, consulté des provinces – le Québec n’a pas pris part à l’exercice –, invité divers acteurs à soumettre des mémoires et lancé un sondage en ligne.

L’enquête virtuelle a fait l’objet de critiques, car on pouvait répondre au questionnaire un nombre illimité de fois. « On n’a jamais prétendu que c’était quelque chose de scientifique », a-t-on argué au bureau du ministre Blair.

La consultation web a d’ailleurs été prise d’assaut par François Bellemare, un ingénieur québécois adepte du tir sportif, qui a soutenu à La Presse avoir répondu entre 25 000 et 35 000 fois à l’aide d’un programme qu’il laissait rouler sur son ordinateur la nuit.

Les résultats du questionnaire, qui a été rempli un grand total de 134 917 fois, sont donc à prendre avec un grain de sel, comme on l’admet dans ce compte rendu de 35 pages élaboré en collaboration avec Sécurité publique Canada et Hill + Knowlton Strategies.

« Les points de vue des intervenants exprimés par deux des modes de mobilisation – en personne et dans les mémoires - étaient variés, tant en opposition qu’à l’appui d’une interdiction. Inversement, la plupart des répondants au questionnaire […] s’opposaient à l’interdiction », y nuance-t-on.

C’est ainsi que sur le web, à la question « Devrait-on en faire plus pour limiter l’accès aux armes de poing », 81 % ont répondu par la négative (95 % au Québec). À la proposition « Devrait-on en faire plus pour limiter l’accès aux armes d’assaut », 77 % ont dit non (93 % au Québec).

Les opinions plus consensuelles

Si l’interdiction des armes d’assaut et de poing polarise, il se dégage malgré tout certains consensus, notamment en matière sur la question de la nécessité de « régler les conditions socioéconomiques qui favorisent la violence liée aux armes à feu ».

L’enjeu de l’entreposage sécuritaire a aussi été soulevé « au cours de presque toutes les séances », est-il indiqué dans le rapport.  Mais là encore, des désaccords émergeaient en fonction de la position des intervenants sur la question de la prohibition, spécifie-t-on.

Et maintenant, on fait quoi?

Le Sénat du Canada étudie actuellement un projet de loi qui resserre le contrôle des armes. La mesure législative ne contient toutefois aucune disposition entourant une interdiction des armes de poing et des armes d’assaut.

Au bureau du ministre Blair, on assure qu’on ne « fait pas une croix » sur la possibilité de légiférer sur cet enjeu d’ici l’ajournement des travaux parlementaires, dans sept petites semaines.

Encore faudra-t-il se faire une tête sur l’avenue à emprunter ; l’ancien chef de police Bill Blair devrait en discuter avec ses collègues de cabinet prochainement. Ces derniers jours, il a dit suivre avec attention ce qui se passe en Nouvelle-Zélande.

Le Parlement néo-zélandais a d’ailleurs adopté mercredi, par une écrasante majorité de 119 voix contre 1, un projet de loi pour bannir les armes semi-automatiques de style militaire au pays qui a cheminé à la vitesse grand v.

La première ministre Jacinda Ardern avait annoncé son intention de légiférer six jours après le carnage commis par un suprémaciste blanc d’origine australienne dans deux mosquées de Christchurch. L’attentat du 15 mars dernier a fait 50 victimes.

La loi, qui prévoit également un programme de rachat des armes visées actuellement en circulation, doit entrer en vigueur vendredi, soit moins d’un mois après la tuerie dans les lieux de culte.