La ministre canadienne des Institutions démocratiques, Karina Gould, se désole du peu de collaboration qu'offrent les géants comme Facebook dans la lutte contre l'ingérence politique étrangère.

« Je n'ai pas confiance qu'ils prennent cet enjeu très au sérieux. Ils pensent qu'ils font le travail nécessaire, mais ils ne sont pas assez transparents avec le gouvernement [canadien] », a-t-elle laissé tomber en conférence de presse à Ottawa, lundi.

« Je ne suis pas exactement heureuse des conversations [qu'on a eues] jusqu'à maintenant », a ajouté la ministre Gould en marge du dépôt d'un rapport du Centre de sécurité des télécommunications (CST) sur la menace de l'ingérence étrangère.

Et au grand patron de Facebook, Mark Zuckerberg, qui a récemment invité les pays à se concerter pour accoucher d'un cadre réglementaire transnational, la ministre des Institutions démocratiques du Canada signale que ce n'est pas aux géants du web à dicter leurs lois.

Il pourrait y « avoir des similarités » entre pays démocratiques, mais « je crois que les plateformes numériques devront accepter que les différents pays auront leurs propres lois », a-t-elle argué.

Ottawa étudie « très attentivement » la possibilité de légiférer, a ajouté Mme Gould.

Mais voilà, avec huit semaines restantes au calendrier des travaux parlementaires, cela ne se fera clairement pas avant le prochain scrutin d'octobre prochain.

En l'absence de mesures législatives concrètes pendant la campagne électorale, la ministre concède que l'on s'en remet essentiellement à la vigilance des Canadiens.

« Nous avons vu partout au monde que les cibles les plus directes, les plus importantes, pour l'ingérence étrangère, ce sont les citoyens. Parce que ce sont les citoyens ont le pouvoir. Ils décident qui va les gouverner, eux et leur pays », a-t-elle fait valoir.

La menace plane toujours

Le CST a réitéré lundi dans son rapport que la menace de l'ingérence étrangère planait toujours sur le processus électoral. Les Canadiens risquent dont de goûter à la même médecine que l'on a servie aux Britanniques, aux Français et aux Allemands, entre autres.

« La proportion des élections ciblées par des cybermenaces a plus que triplé dans les démocraties avancées dont l'économie s'apparente à celle du Canada, comme les pays membres de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) », précise-t-on dans le document qui fait près d'une trentaine de pages.

Si l'agence d'espionnage montre spécifiquement - et exclusivement - la Russie du doigt, elle souligne malgré tout qu'il « est improbable que l'ampleur de cette ingérence étrangère en ligne rivalise avec celle des activités menées par la Russie contre les élections présidentielles de 2016 aux États-Unis ».

C'est notamment parce que le Canada « ne joue pas le même rôle sur la scène internationale », ont expliqué des représentants du CST lors d'une séance d'information technique, lundi matin.

Le système canadien est par ailleurs moins vulnérable que d'autres, puisque les élections fédérales se déroulent principalement sur papier.

On ne détaille pas les tactiques des acteurs malintentionnés dans le document pour éviter que celui-ci serve de guide pratique pour leurs émules, a signalé en conférence de presse la grande patronne de l'agence d'espionnage, Shelly Bruce.

Bien que les responsables du CST reconnaissent une « montée » du phénomène, ils maintiennent le niveau d'évaluation du risque d'ingérence à « très probable », c'est-à-dire le même que dans un précédent rapport publié en 2017.

 Exemples d'ingérence au Canada

Au Canada, des dirigeants politiques et le public canadien ont été la cible d'activités d'ingérence étrangère ces dernières années, relève le CST dans ce rapport.

« Depuis les élections fédérales de 2015,  plus d'un adversaire étranger a manipulé les médias sociaux au moyen de cyberoutils pour propager sur Twitter des renseignements faux ou trompeurs sur le Canada, tout probablement pour créer un clivage entre les Canadiens ou miner les objectifs du Canada en matière de politique étrangère », est-il écrit.

Quant à l'Internet Research Agency (IRA) russe, elle « continue de créer des sites web illégitimes pour y afficher des renseignements faux et trompeurs qu'il fait passer pour des blogues personnels ou du journalisme électronique indépendant », relève l'agence.

« Une campagne menée en septembre 2017 a tenté de provoquer au Canada les mêmes dissensions politiques qui touchent la Ligue nationale de football des États-Unis en faisant la promotion de titres d'articles comme "La Ligue canadienne de football proteste contre SON PROPRE hymne national ! " [...] », illustre-t-on dans le rapport.

L'agence fédérale ne nomme d'autres pays que la Russie d'où pourraient être lancées les attaques en ligne, mais mentionne la Russie à plus d'une reprise.

Il y a quelques jours, la ministre des Affaires étrangères du Canada, Chrystia Freeland - dont les relations avec Moscou sont glaciales - réitérait qu'il était probable que les Russes perturbent le processus électoral fédéral en octobre prochain.

Ottawa a récemment mis sur pied un Groupe de travail sur les menaces en matière de sécurité, formé de représentants du Service canadien du renseignement de sécurité, de la Gendarmerie royale du Canada, d'Affaires mondiales Canada et du CST.

Son mandat est d'aider le gouvernement canadien à évaluer et à contrer les menaces étrangères en vue des élections de 2019.