Les ex-députés de Québec solidaire (QS) Amir Khadir et Françoise David ont défendu pendant des années le compromis mis de l'avant par la commission Bouchard-Taylor. Perplexes devant la décision des militants du parti d'abolir toute limite pour le port de signes religieux, ils évitent d'en tirer des conclusions dramatiques.

Personnellement, l'ancien député de Mercier « demeure favorable à une solution de compromis honorable ». « Et pour moi, l'effort Bouchard-Taylor était un exemple de ce compromis honorable », a-t-il souligné lorsque La Presse l'a joint hier. Si les partis abordent le débat « dans un esprit de servir le public, à un moment donné, il y aura un compromis, et ce qui risque d'arriver, c'est que cela va ressembler à Bouchard-Taylor », prédit-il.

Mais il dit comprendre les arguments des militants de QS qui ont décidé d'aller plus loin. « Je ne pense pas qu'ils prennent des décisions par électoralisme. » Les élus sont « à l'avant-front », ils peuvent être mal à l'aise, « mais avec l'expérience, je me suis aperçu qu'il ne faut pas s'énerver avec ça ! ». Pour lui, QS n'a pas cautionné le port du voile, mais décidé « de protéger le plus possible le droit de tout le monde d'avoir accès au travail ».

Il cite en exemple les interrogations soulevées quand QS avait mis de l'avant une formule de co-chefs, un homme et une femme. « Des gens, moi aussi, disaient pourquoi faire ça, on se tire dans le pied ! Mais à long terme, cela nous a rendus crédibles sur un tas de choses, permis de travailler dans la sérénité. Même si cela paraît un peu complètement détaché de l'électoralisme, à long terme, faire des choses au mieux de notre connaissance, cela rapporte ! », observe le premier député de QS élu à l'Assemblée nationale.

Un congrès de Québec solidaire veut avoir une approche le plus près possible de ce que les gens pensent. Ensuite, au cas par cas, dans la réalité, dans l'administration publique, il faut « laisser aux personnes responsables le soin de décider ».

« Des interprétations peuvent différer »

Amir Khadir ne s'offusque pas des contradictions apparues dimanche entre Ruba Ghazal, qui lui a succédé dans Mercier, et le co-chef Gabriel Nadeau-Dubois. « C'est dans la nature des choses, ce sont des choses relativement nouvelles qu'ils ne maîtrisent certainement pas tous les deux. » Dimanche, Mme Ghazal ne voyait pas d'objections à ce qu'une téléphoniste embauchée par Québec puisse porter un voile intégral. M. Nadeau-Dubois, de son côté, a désavoué sa collègue qui n'avait pas, selon lui, à se prononcer sur ces cas précis.

« Une fois un projet de loi adopté, quel que soit ce que le gouvernement a décidé, il y a toujours des interprétations qui peuvent différer. Je suis à l'aise avec ça, c'est comme ça que marche la vie publique », a précisé M. Khadir.

Gabriel Nadeau-Dubois a pu paraître cassant quand il a désavoué l'interprétation d'autres solidaires de ce qu'avait adopté samedi la plénière. Le texte sanctionné par les 300 militants indique qu'il n'y a pas de contrainte au port du voile intégral par une fonctionnaire. « Moi aussi, j'ai pu avoir l'air cassant, c'est dur à porter, j'ai vécu des situations semblables à l'endroit des gens du fameux "Politburo", que je les rabroue. Cela est arrivé. Mais [à long terme], la décision qui s'imposera, c'est celle du collectif. »

« Des arguments supplémentaires »

Pour Françoise David, le débat de la fin de semaine à QS n'était pas surprenant. « Quand j'ai vu le projet de loi de MM. Legault et Jolin-Barrette, je me suis dit qu'ils venaient de donner des arguments supplémentaires à ceux qui ne voulaient plus du compromis [Bouchard-Taylor]. »

Le projet de loi ajoute une foule de fonctionnaires qui ne pourraient porter de signes religieux. « Ce qui fait que, finalement, en fin de semaine, peut-être que j'aurais voté contre l'interdiction », a-t-elle soutenu sur les ondes de RDI.

Pour elle, les co-porte-parole de QS « ont eu un peu de difficulté à expliquer un point de vue. C'est comme si QS nous disait : ‟C'est tellement restrictif qu'il n'y en aura pas" », a ajouté l'ex-députée, qui aurait préféré que les militants disent explicitement qu'il n'y aurait pas d'employées de l'État qui porteraient le voile intégral.

Elle souscrit au projet de la CAQ d'inscrire explicitement la laïcité dans la Charte québécoise des droits, un geste auquel s'était toujours refusé le gouvernement Couillard, a-t-elle rappelé.