L’atterrissage de Mélanie Joly en politique fédérale ne s’est pas fait sans heurts. Après un passage controversé au Patrimoine canadien s’est amorcé un long chemin de croix pour la députée d’Ahuntsic-Cartierville. Du Tourisme au Développement économique s’est effectué un profond travail d’introspection.

Elle en parle pour la première fois en toute franchise.

« Au final, qu’est-ce que je veux être ? Est-ce que je veux être quelqu’un qui donne le meilleur de moi, ou est-ce que je veux toujours vivre dans mes peurs ? C’était un choix de vie. » Autour de la table à manger de son petit appartement montréalais, Mélanie Joly s’exprime sans filtre après cette année où elle a pris du galon sur la scène politique.

« Ç’a été une année exigeante pour le gouvernement, mais de mon côté, ç’a été une année où je me suis fait confiance. J’ai décidé de me relancer. J’ai maintenant l’impression d’être plus en paix avec qui je suis. […] J’ai ce sentiment d’être plus forte sur mes deux pieds. Vraiment, l’année d’avant [2018] avait été une année d’introspection », confie-t-elle.

Mélanie Joly ne cache plus, depuis un bon moment déjà, qu’elle n’a pas manié le délicat dossier Netflix comme elle aurait dû le faire, à l’automne 2017. Ce qu’on sait moins, c’est qu’elle s’est ensuite livrée à une sérieuse remise en question. « Il a fallu que je comprenne pourquoi je faisais certaines choses », relate la ministre Joly en entrevue avec La Presse.

Pourquoi je réagissais de telle façon face à certains événements. Quelles étaient les émotions que je vivais et pourquoi, par exemple, je me retrouvais à toujours répéter mes “lignes” sans prendre le temps d’expliquer. J’ai compris pourquoi. […] J’étais très anxieuse. Je me disais que je ne pouvais pas me tromper. C’était vraiment ça.

Mélanie Joly, ministre du Développement économique et des Langues officielles

Elle dit avoir œuvré à défaire « ses réflexes d’affaires », qu’elle doit à sa carrière en droit et en communication, pour revêtir ses habits de ministre. Mieux communiquer, davantage consulter, anticiper les réactions et identifier ses alliés sont des habiletés qu’elle estime avoir développées. « On dit que l’expérience ne s’achète pas. C’est vrai », lance-t-elle.

« J’ai complètement changé mon approche. J’ai laissé tomber certaines gardes. Dans la vie, je suis une fille accessible, chaleureuse, alors pourquoi est-ce qu’il y a une si grande distance avec les intervenants, les journalistes ? Pourquoi est-ce que j’étais si différente dans ma vie publique de ce que je suis dans ma vie privée ? Il ne devait pas y avoir une si grande dichotomie. »

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

« Ça partait de faire confiance à moi et ensuite aux autres », assure Mélanie Joly, ministre du Développement économique et des Langues officielles.

Ça partait de faire confiance à moi et ensuite aux autres.

Mélanie Joly, ministre du Développement économique et des Langues officielles

C’est dans cet état d’esprit, appuyé par le travail d’une équipe renouvelée, que Mélanie Joly a amorcé son mandat au ministère du Tourisme, des Langues officielles et de la Francophonie. Elle venait d’être dépouillée du Patrimoine canadien après le remaniement de juillet 2018. Beaucoup y ont vu une rétrogradation après l’épisode Netflix.

« Ce que m’a appris la dernière année, c’est qu’il n’y a pas de mauvais dossiers. C’est ce que tu en fais qui compte », défend-elle. Elle a bien pris soin, assure-t-elle, de ne pas reproduire les mêmes erreurs. Mme Joly raconte qu’elle a révélé sa stratégie fédérale pour la croissance du tourisme aux intervenants du milieu un mois avant son dévoilement, en mai.

« J’ai pu ajuster des choses, et quand je l’ai lancée, tout le monde était content », dit-elle. « Je leur ai fait confiance et ils m’ont fait confiance ensuite. […] Dans le cas de Netflix, j’aurais dû en parler plus avec le milieu. Ce n’était pas parfait, c’était une solution de transition, mais avec les commentaires que j’aurais eus, j’aurais fait différemment les choses. Et s’il y avait eu moins de surprises, les réactions aussi auraient été différentes. »

Du tourisme à l’économie

Mélanie Joly a été réélue avec une majorité convaincante de 16 930 voix sur son plus proche rival dans Ahuntsic-Cartierville, alors que bon nombre de libéraux du Québec ont eu à composer avec des luttes beaucoup plus serrées, et plusieurs défaites. Au lendemain des élections, elle a été de ceux qui affirmaient qu’il fallait qu’Ottawa se rapproche des régions.

« Il faut recréer ce rapport-là, basé sur une plus grande présence, une plus grande empathie et une plus grande connexion avec les gens pour augmenter le niveau de confiance », plaide la ministre. 

Je pense que ce qui nous manque, ce sur quoi on doit travailler, c’est vraiment la confiance des gens envers leurs institutions.

Mélanie Joly, ministre du Développement économique et des Langues officielles

Et la solution passe à son avis par les agences de développement économique régional. Alors qu’il y en a six au pays, elle propose au premier ministre de les renforcer en nommant un secrétaire parlementaire (député de la région) pour chacune, ce qu’il accepte. Elle est nommée à la tête du Développement économique et conserve les Langues officielles.

« Les agences de développement régional, c’est vraiment le gouvernement de proximité pour le fédéral. C’est là où, en région, les gens ressentent la présence du fédéral. Ça venait chercher mes réflexes du municipal », résume celle qui a été de la course à la mairie de Montréal en 2013. « Moi, j’aime être une politicienne de proximité. »

Tout juste après avoir prêté serment, Mélanie Joly rentre d’ailleurs d’une tournée des six agences, de l’Atlantique au nord du Québec, en passant par l’Ouest. Le jour de l’entretien, elle devait visiter les installations de Montréal. « Ce qui est fondamental, c’est la réalité économique des gens. Ce n’est pas de l’économie déconnectée. C’est ce que je veux apporter. »

Et un projet personnel

En plus de son mandat, en 2020, Mélanie Joly, qui soufflera 41 bougies en janvier, espère fonder une famille et avoir son premier enfant. Un rêve qu’elle caresse non sans une certaine appréhension. « À mon sens, la plus grande barrière pour les femmes en politique, c’est encore aujourd’hui la conciliation travail-famille », admet-elle.

Elle croit qu’il y a « encore beaucoup à faire » pour accroître le nombre de femmes en politique, surtout sur la scène fédérale, où le territoire est plus grand. Elle cite, par exemple, la possibilité de voter à distance et l’amélioration des services de garde.

« C’est ça qui est le plus difficile, c’est ça qui empêche les femmes de se lancer. Ça. Cette difficulté d’avoir les deux. Ce n’est pas une chose à laquelle je ne pense qu’une fois par jour, je pense à ça plusieurs fois par jour. […] C’est omniprésent dans mes pensées, confie la jeune femme. Je veux les deux. Ça va être ça, mon objectif. »