(OTTAWA) Le son rock du groupe américain The Replacements résonne dans la suite 306 de l’édifice de la Justice, rue Wellington. Une grande illustration de l’artiste montréalaise Geneviève Després orne le mur d’accueil du vaste bureau.

David Lametti est tout près d’un tourne-disque posé sur une petite table. Garbage, Nirvana, Audioslave, The Pretenders… le ministre de la Justice du gouvernement Trudeau a un faible pour le rock alternatif, le post-punk et même le grunge.

Des goûts musicaux tout en contraste avec son image assez sobre, diront certains. D’un naturel discret et réservé, il est d’ailleurs encore peu connu au Québec. Mais sa personnalité, David Lametti aura l’occasion de la faire découvrir en 2020 alors que ses responsabilités pourraient le forcer à occuper le devant de la scène.

Son premier grand chantier : élargir l’aide médicale à mourir.

« Il faut corriger le tir et c’est ce qu’on va faire », n’hésite pas à dire le ministre Lametti en entrevue à La Presse. « La cour nous a dit que ce n’était pas assez. »

En septembre dernier, le jour même du déclenchement des élections fédérales, la Cour supérieure du Québec a déclaré inconstitutionnelle une partie de la loi canadienne sur l’aide médicale à mourir, rejetant le critère selon lequel une personne doit être près d’une « mort naturelle raisonnablement prévisible » pour y avoir droit.

Le tribunal a donné six mois au gouvernement fédéral pour modifier sa loi. Ce que s’est engagé à faire le premier ministre Justin Trudeau en pleine campagne électorale. Cette révision sera couplée à l’examen obligatoire du régime fédéral actuel prévu en juin 2020, soit cinq ans après l’entrée en vigueur de la loi.

« S’il y a d’autres enjeux à court terme qui font consensus, on pourra les aborder maintenant », a souligné le ministre Lametti. Mais une chose est cruciale, à ses yeux : il faudra arriver à trouver un équilibre entre l’élargissement de l’admissibilité à l’aide médicale à mourir et la protection des personnes vulnérables malades.

Il faut toujours, toujours se souvenir que l’on parle de personnes souffrant de maladies graves, dont les familles souffrent aussi. Il faut aborder ces questions avec une sensibilité particulière et s’assurer qu’il y aura des protections dans la loi [révisée] pour que ces personnes-là ne soient pas non plus influencées.

David Lametti

« Il faut que l’autonomie soit le principe de base », dit-il.

Il n’est pas exclu qu’Ottawa réclame un délai pour se conformer aux exigences de la Cour supérieure, mais l’objectif demeure de conclure les travaux à temps, soit quelque part en mars.

La lettre de mandat remise par Justin Trudeau à M. Lametti stipule d’ailleurs qu’il doit « initier immédiatement », avec l’appui de la ministre de la Santé, Patty Hajdu, un « processus inclusif permettant de travailler avec les provinces et territoires pour répondre à la récente décision » de la juge Christine Baudouin.

Des consultations « plus dirigées » avec la société canadienne et entre parlementaires doivent se tenir en début d’année. « On n’a jamais arrêté [le dialogue], nuance le ministre. On a toujours vu cette loi comme un processus appelé à évoluer. Maintenant, j’ai l’occasion de travailler à l’améliorer. »

Le libéral David Lametti, faut-il le rappeler, avait voté contre l’adoption de la loi sur l’aide médicale à mourir en 2016, la jugeant trop restrictive.

Mettre sa propre couleur

De la musique, il y en a partout dans la vie de David Lametti. Il garde une partie de sa collection de vinyles (le son est plus riche sur vinyle, dit-il) dans son bureau et son appartement d’Ottawa. C’est essentiel pour lui, nous soufflera son personnel politique.

« C’est toujours quelque chose qui m’a accompagné », confie celui qui a enseigné le droit à l’Université McGill pendant une vingtaine d’années. « C’est une façon pour moi de me relaxer. Si je peux faire quelque chose avec la musique, c’est toujours plus facile, surtout le soir lorsque je suis seul au bureau. »

PHOTO ÉTIENNE RANGER, ARCHIVES LE DROIT

David Lametti est un grand amateur de musique. Et ses goûts en la matière contrastent avec son image assez sobre, diront certains.

Sur sa page Facebook, il n’est pas rare qu’il publie ce qu’il écoute selon son humeur de la journée. Après une rencontre « émotive » avec ses collègues défaits lors des dernières élections, en novembre, il avait choisi le disque Purple des Stone Temple Pilots.

C’est sa propre partition qu’il espère maintenant jouer au cabinet Trudeau. L’élu de LaSalle–Émard–Verdun avait hérité du prestigieux poste de ministre de la Justice et procureur général du Canada lors du remaniement de janvier 2019. C’était quelques semaines à peine avant l’éclatement de la crise SNC-Lavalin.

En pleine controverse impliquant sa prédécesseure, Jody Wilson-Raybould, David Lametti a reçu un baptême du feu. Tous les jours, il était interrogé sur l’épineuse possibilité de conclure ou non un accord de réparation avec la firme québécoise. Il est cependant demeuré en quelque sorte dans l’ombre du scandale qui a duré des mois.

Je crois que j’ai bien géré la situation. On est arrivés à livrer ce qui était dans le mandat de mon prédécesseur.

David Lametti

« Maintenant, c’est une autre étape. Je viens de prêter serment avec un nouveau mandat. […] J’ai une lettre de mandat beaucoup plus proactive. Les défis seront nombreux pour moi dans la prochaine période parlementaire. Ça va être à moi de mettre ma couleur. [Il a utilisé l’expression : “I’m going to own it.”]. Pour moi, c’est un rêve. »

La mise en œuvre du rapport de l’ancienne ministre Anne McLellan – commandé par Justin Trudeau dans la foulée de l’affaire SNC-Lavalin – fait aussi partie du nouveau mandat de David Lametti. Elle a notamment conclu qu’il n’était pas nécessaire de séparer les postes de procureur général et de ministre de la Justice pour assurer une meilleure indépendance.

Il dit croire qu’il est possible de tracer une ligne aussi franche même si l’on s’adresse à une seule et même personne. « Oui. On le fait déjà dans notre système politique », assure-t-il. À noter que l’entretien a eu lieu avant qu’une entente survienne entre la Couronne et les avocats de l’entreprise, le 18 décembre.

Lutte contre la haine en ligne

La lutte contre la haine en ligne, tout comme la protection de la vie privée des Canadiens sur internet, est une mission chère aux yeux du ministre David Lametti. « C’est plutôt personnel », a-t-il dit à La Presse. L’élu montréalais a agi comme secrétaire parlementaire du ministre Navdeep Bains au moment de l’élaboration de la Charte canadienne du numérique et a pu apporter son expertise aux travaux.

« D’avoir l’occasion de vraiment mieux protéger l’individu à l’ère numérique, c’est un défi que je veux relever », dit-il. À l’époque de sa vie d’enseignant, la spécialité de M. Lametti était la propriété intellectuelle. Il a d’ailleurs dirigé des thèses sur la question. « J’ai toujours été à jour. C’est quelque chose qui m’intéresse vraiment. »

Le déploiement de cette nouvelle charte est d’ailleurs un des éléments de sa lettre de mandat dans le but d’établir un nouvel ensemble de droits en ligne. Le premier ministre lui a demandé d’élaborer des options en matière de recours judiciaires pour les victimes de propos haineux et de harcèlement en ligne.

Parmi les pistes de solution, M. Lametti ne ferme pas la porte à un retour de l’article 15 de la Loi canadienne sur les droits de la personne – abrogé en 2013 – afin de donner « une option privée » à un citoyen, excluant le Code criminel.

Priorités aux autochtones

Au chapitre de ses priorités, David Lametti cite la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones d’ici la fin de l’année 2020. Un travail qu’il fera en collaboration avec ses collègues, Carolyn Bennett et Marc Miller. « Ce n’est pas facile, mais nous allons trouver un moyen de le faire », a-t-il confirmé.

Le projet de loi C-262, déposé à l’époque par l’ancien député du NPD, Romeo Saganash, est mort en feuilleton en juin dernier après avoir été bloqué par les sénateurs conservateurs. Dans son mandat, il devra aussi contribuer à l’élaboration du Plan d’action national sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées au pays pour donner suite aux travaux de l’enquête nationale, qui a pris fin en juin dernier.

La poursuite de la mise en œuvre des recommandations de la Commission de vérité et réconciliation est aussi sur la liste de travail.