Débats déchirants, manifestations monstres, enquête mémorable, fin de l’alternance PLQ-PQ : le Québec a connu de nombreux soubresauts durant les années 2010. La Presse revient sur une décennie de politique québécoise.

Le feuilleton de la commission Charbonneau

La collusion, la corruption, la construction. Des mots qui ont résonné au cours de la dernière décennie au Québec, particulièrement marquée par la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction, communément appelée commission Charbonneau. « En plus de marquer les esprits, cette commission d’enquête fut importante sur le plan politique et structurel. Il en a découlé plusieurs réformes importantes, dont celle sur le financement politique », souligne Eric Montigny, politologue à l’Université Laval.

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La Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction, communément appelée commission Charbonneau, a marqué la dernière décennie politique au Québec. 

Un certain printemps 

Les « manifs de nuit ». Les rassemblements à la place Émilie-Gamelin. Le mouvement des casseroles. Le « printemps érable », résultat de la mobilisation étudiante contre la hausse des droits de scolarité à l’université, a marqué l’année 2012 au Québec, particulièrement dans les quartiers centraux de Montréal. Cette mobilisation, qui a pris des allures de crise sociale, a mené en septembre 2012 le Parti québécois au pouvoir.

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Le « printemps érable », résultat de la mobilisation étudiante contre la hausse des droits de scolarité à l’université, a marqué l’année 2012 au Québec, particulièrement dans les quartiers centraux de Montréal.

De la charte à la loi 21

La question de la laïcité a marqué la dernière décennie politique. La question s’était posée dans la décennie précédente avec le rapport Bouchard-Taylor sur les accommodements raisonnables. Chaque gouvernement a ensuite déposé sa vision de la situation, de la Charte des valeurs du Parti québécois à la loi sur les services reçus à visage découvert des libéraux. En juin dernier, la Coalition avenir Québec (CAQ) a finalement adopté sous le bâillon sa loi 21, qui interdit aux employés de l’État ayant un pouvoir coercitif et aux enseignants de porter un signe religieux.

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La question de la laïcité a été au centre de la dernière décennie politique. Alors qu’il était ministre dans le gouvernement de Pauline Marois, Bernard Drainville a déposé la Charte des valeurs.

Austérité

L’austérité – ou la rigueur budgétaire, comme disaient certains – a marqué le seul mandat du gouvernement libéral de Philippe Couillard. Depuis quelques années, la situation s’est inversée. Le Québec enregistre maintenant des surplus budgétaires historiques. « Il s’agit d’un changement structurel qui fut initié il y a plus de 20 ans, mais dont le Québec récolte maintenant les fruits sur le plan de sa prospérité économique », analyse Eric Montigny, de l’Université Laval. « Le fossé entre les riches et les moins nantis s’est creusé ces dernières années, surtout dans la foulée des compressions budgétaires de l’ère Couillard, où plusieurs programmes d’assistance sociale sont disparus ou ont été réduits considérablement », rappelle toutefois Daniel Salée, de l’Université Concordia.

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L’austérité – ou la rigueur budgétaire, comme disaient certains – a marqué le seul mandat du gouvernement libéral de Philippe Couillard.

Domination libérale

Le Parti libéral du Québec (PLQ) a certainement marqué la dernière décennie politique. D’abord la fin du règne de Jean Charest, défait en 2012 lors de la victoire de Pauline Marois, première femme à accéder au titre de première ministre. Le mandat du gouvernement péquiste, minoritaire, a toutefois été court, alors que les libéraux – désormais sous le leadership de Philippe Couillard – ont repris le pouvoir en 2014.

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Après un court mandat du Parti québécois, le Parti libéral du Québec, cette fois avec Philippe Couillard à sa tête, a repris le pouvoir en 2014. 

L’indépendance et le poing levé

Si elle a été débattue avec moins de résonance qu’à une autre époque, la question nationale au Québec s’est tout de même imposée dans la dernière décennie politique. D’abord, « l’arrivée de Pierre Karl Péladeau avec son poing levé pour l’indépendance », lors de la campagne électorale de 2014, a « contribué à illustrer tout le malaise que le Parti québécois entretient avec son option fondamentale », analyse le politologue Eric Montigny. « Plutôt que de promouvoir l’option de l’indépendance, tant Pauline Marois que Jean-François Lisée ont opté pour s’adapter à un environnement qui n’était pas favorable. La première parlait plutôt de gouvernance souverainiste et le deuxième, d’un “ostie de bon gouvernement” », souligne-t-il.

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« L’arrivée de Pierre Karl Péladeau avec son poing levé pour l’indépendance », lors de la campagne électorale de 2014, a « contribué à illustrer tout le malaise que le Parti québécois entretient avec son option fondamentale », analyse le politologue Eric Montigny.

L’émergence d’un quatrième parti

Quand Québec solidaire (QS) a fait élire 10 députés le 1er octobre 2018, l’énergie des militants au rassemblement du parti atteignait des sommets. Pour la formation politique de gauche, longtemps considérée comme le parti montréalais d’Amir Khadir et de Françoise David, cette percée hors de la métropole (Québec, Estrie et Abitibi) avait quelque chose d’historique. Dans la dernière décennie, « l’arrivée d’un quatrième parti à l’Assemblée nationale constitue aussi un événement majeur qui illustre l’éclatement du système partisan québécois », note Eric Montigny. « Résolument à gauche et antisystème, il marque aussi la fin de l’hégémonie du Parti québécois sur la question de l’indépendance », ajoute-t-il.

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« L’arrivée d’un quatrième parti à l’Assemblée nationale constitue aussi un événement majeur qui illustre l’éclatement du système partisan québécois », note Eric Montigny, à propos de l’émergence de Québec solidaire lors des dernières élections québécoises. 

L’ascension de François Legault

Fondateur d’Air Transat, ancien ministre influent au Parti québécois, François Legault a réussi à prendre le pouvoir en 2018 avec sa jeune Coalition avenir Québec. Le parti était jusqu’en 2011 un groupe de réflexion, qui avait été lancé avec l’homme d’affaires Charles Sirois. Après sa fondation et son arrivée officielle sur l’échiquier politique québécois, la CAQ a franchi une nouvelle étape en fusionnant, en décembre 2011, avec l’Action démocratique du Québec (ADQ). « [Leur victoire électorale] donne des munitions aux opposants à l’instauration d’un système électoral proportionnel : les choses peuvent bouger malgré le système en place », analyse Stéphanie Yates, professeure en communication sociale et publique à l’UQAM.

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Fondateur d’Air Transat, ancien ministre influent au Parti québécois, François Legault a réussi à prendre le pouvoir en 2018 avec sa jeune Coalition avenir Québec.

Le tournant des gaz de schiste

La question environnementale s’est taillé une place dans les débats qui ont marqué la dernière décennie. Au Québec, l’enjeu des gaz de schiste a marqué un « tournant », souligne Eric Montigny, de l’Université Laval. « D’abord un symbole du “pas dans ma cour”, ce débat, qui se conclura en 2018 quand le gouvernement Couillard renoncera à leur exploitation, aura permis de mieux définir le concept d’acceptabilité sociale », analyse-t-il. « Tout comme on l’avait vu avec l’opposition au projet de développement du mont Orford, les citoyens savent se mobiliser et considèrent qu’ils ont leur mot à dire quant au développement de leur territoire. C’est une dynamique qui est là pour rester », poursuit Stéphanie Yates.

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La question environnementale s’est taillé une place dans les débats qui ont marqué la dernière décennie, notamment l’enjeu entourant les gaz de schiste. 

De grands disparus

Le Québec a perdu dans la dernière décennie de grands hommes et grandes femmes politiques qui ont marqué l’histoire de la province. Dans le camp nationaliste, deux ex-premiers ministres nous ont quittés : Jacques Parizeau, qui a mené la province aux portes de l’indépendance, et Bernard Landry, impliqué politiquement jusqu’à son dernier souffle. Ces artisans du Québec moderne ont laissé plusieurs legs à la société québécoise. Claire Kirkland-Casgrain, première femme députée, première femme ministre et première femme juge au Québec, s’est éteinte en mars 2016.

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L’ex-premier ministre Jacques Parizeau est mort en 2015.