La commissaire à l’éthique veut enquêter sur d’éventuelles allégations de harcèlement visant des députés. Elle invite l’Assemblée nationale à revoir son Code d’éthique, puisqu’elle le juge « incomplet » en cette matière.

Dans un rapport déposé jeudi dernier, en toute fin de session, la commissaire Ariane Mignolet propose 22 recommandations pour améliorer le Code d’éthique et de déontologie des élus, qui a été adopté en 2010. Elle propose en outre de le réviser à la lumière des nombreuses affaires d’agression sexuelle et de harcèlement mises au jour depuis le mouvement #moiaussi.

La commissaire reprend ainsi une idée lancée en 2015 par son prédécesseur, Jacques Saint-Laurent. Les parlementaires n’y avaient donné aucune suite à l’époque au motif que l’Assemblée nationale venait de se doter d’une politique contre le harcèlement.

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE LA COMMISSAIRE À L’ÉTHIQUE ET À LA DÉONTOLOGIE

La commissaire Ariane Mignolet

Près de cinq ans plus tard, les élus doivent reconsidérer cette décision, dit Mme Mignolet.

« Une chose est sûre, c’est que la politique contre le harcèlement en vigueur à l’Assemblée nationale ne règle pas tout, dit-elle en entrevue. Il pourrait y avoir des dispositions plus précises qui visent la conduite en ces matières. »

Le Code d’éthique édicte les « valeurs de l’Assemblée nationale ». Il engage un député à adopter une conduite « empreinte de bienveillance, de droiture, de convenance, de sagesse, d’honnêteté, de sincérité et de justice ».

En vertu de cette disposition, la commissaire a le pouvoir d’enquêter sur des allégations de harcèlement visant un élu, mais seulement si le geste a été commis dans le cadre de ses fonctions. Tout geste fait dans un cadre privé est hors de sa portée.

C’est pourquoi Mme Mignolet estime que le Code d’éthique est « incomplet ». Il ne contient en effet aucune « disposition propre à la question du harcèlement ».

La commissaire invite les parlementaires à remédier à la situation, en s’inspirant par exemple de certaines villes comme Montréal et Laval, de la Chambre des communes à Ottawa ou encore du Parlement du Royaume-Uni.

Les députés pourraient envisager d’élargir le champ d’application du Code en matière de harcèlement, entre autres, à une conduite qui ne cadre pas strictement dans l’exercice de la charge d’un député. En effet, les députés pourraient s’engager à respecter les valeurs de l’Assemblée nationale et les principes éthiques en tout temps, soit dans leur conduire générale, afin de maintenir la confiance du public et de respecter les normes les plus élevées en matière d’intégrité, de respect et de dignité.

 Extrait du Rapport sur la mise en œuvre du Code d’éthique et de déontologie des membres de l’Assemblée nationale

A-t-elle reçu des plaintes ?

« Je ne veux pas commenter des cas qui auraient pu m’être soumis ou pas, répond-elle. C’est sûr que c’est dans l’actualité, et c’est certain que si je m’y intéresse, c’est qu’il aurait pu y avoir des choses. »

Au cours des derniers mois, l’Assemblée nationale a déployé des mesures sans précédent pour contrer le harcèlement et l’incivilité. Des députés ont reçu des formations et des affiches ont été placées bien en vue dans le campus parlementaire.

Selon le premier rapport annuel de la politique contre le harcèlement, rendu public en juin, l’Assemblée nationale a traité dix dossiers, dont six signalements et une plainte formelle.

Autres recommandations de la commissaire à l’éthique

Salaire des élus

Les élus se trouvent dans une situation de « conflit d’intérêts » lorsque vient le temps de fixer leurs conditions de rémunération, affirme la commissaire à l’éthique. Elle recommande donc de créer un « mécanisme indépendant » pour déterminer le traitement des députés. En 2013, un comité présidé par l’ex-juge de la Cour suprême Claire L’Heureux-Dubé avait proposé de revoir de fond en comble la manière dont les élus sont rémunérés. Son rapport n’a été adopté qu’en partie, faute de consensus à l’Assemblée nationale.

Formation obligatoire

La commissaire Mignolet fait valoir que la formation est la « principale mesure » lui permettant de remplir son mandat. C’est selon elle la meilleure façon de sensibiliser les élus. Elle propose donc que tous les députés suivent une formation obligatoire à chaque mandat. « Il importe en effet de maîtriser les concepts liés à l’éthique et à la déontologie parlementaires dès son entrée en poste afin de développer rapidement les bons réflexes et de contribuer au maintien d’une culture politique où les règles d’éthique et de déontologie sont partie prenante au quotidien », écrit la commissaire.

Une clause « Pierre Paradis »

La commissaire veut éviter un autre cas comme celui de Pierre Paradis. En 2018, l’ex-ministre libéral a été sévèrement blâmé par Mme Mignolet pour avoir utilisé de manière « irrégulière » ses allocations de logement. Elle a recommandé de lui imposer une pénalité de 25 000 $, mais le gouvernement Couillard a utilisé sa majorité parlementaire pour rejeter le rapport. Mme Mignolet propose de modifier le Code d’éthique pour que l’Assemblée nationale ne se prononce que sur d’éventuelles recommandations de sanctions, et non sur l’ensemble de ses rapports.