(Québec) Il était temps que cela finisse. La session qui s’est terminée vendredi à l’Assemblée nationale aura mis en relief une acrimonie d’une rare intensité dans les échanges normalement plus sereins entre les partis au Salon bleu. Un an après les élections générales, la défaite cuisante pour tous les partis de l’opposition dans l’élection complémentaire de Jean-Talon aura probablement réveillé de vieilles blessures.

Dans leurs bilans des travaux de l’automne, libéraux et péquistes ont souligné à larges traits le manque de flexibilité du leader parlementaire gouvernemental, Simon Jolin-Barrette, qui selon eux confond le Salon bleu avec son propre living room. « Ouvre tes yeux, Simon », a même chantonné le chef péquiste Pascal Bérubé, clin d’œil à la chanson des Trois Accords. 

Jeudi, dans une démonstration de force, le leader parlementaire libéral, Marc Tanguay, a forcé les 125 élus à voter précisément sur une série d’amendements proposés par le PLQ au rapport d’une commission parlementaire sur le projet de loi 34, qui devait être adopté, par bâillon, vendredi. Tous ont été rejetés par la majorité gouvernementale. Mais l’exercice, aussi fastidieux que stérile, en dit beaucoup sur l’animosité qui règne entre les deux leaders.

Les députés devaient siéger vendredi pour permettre l’adoption d’une troisième loi par bâillon sous l’administration caquiste. Les projets de loi sur l’immigration et la laïcité ont nécessité qu’on suspende les règles, avant l’été, tout comme maintenant le projet de loi 34 sur les tarifs d’Hydro-Québec. L’opposition libérale n’a pas fait de quartier; plus de 100 heures de travail en commission parlementaire, pour adopter un seul article du projet de loi !

Jeudi, pendant que Me Tanguay forçait les votes à répétition, M. Jolin-Barrette fulminait, et François Legault a senti le besoin de mettre la main sur le bras de son jeune voisin de siège, comme pour l’apaiser.

Le jeune ministre, qui s’était retrouvé au cœur d’une tempête dans le dossier des étudiants étrangers cet automne, a battu sa coulpe hier. 

« Je consulterais davantage », a convenu celui qui, en dépit de l’usage, avait décidé de ne pas prépublier son règlement sur le Programme expérience Québec. Une période de 45 jours, destinée justement à recueillir les observations des gens concernés, avait été escamotée.

On ne change pas une formule gagnante

Vendredi, François Legault a fait l’apologie du travail de son lieutenant et n’a de toute évidence pas l’intention de le déplacer. Pas de remaniement ministériel à prévoir, même pour faire de la place à la nouvelle députée Joëlle Boutin.

L’adage sportif voulant qu’on ne change pas une formule gagnante prévaut toujours. Après un an, le gouvernement Legault jouit toujours d’une cote de popularité impressionnante. Avec 60 % de satisfaction auprès de la population, un score étonnant de 70 % d’électeurs satisfaits chez les francophones, les stratèges à Québec comprennent que les coups de barre importants peuvent attendre.

D’autant plus qu’il est évident que le gouvernement Legault a devant lui des libéraux, des péquistes et des solidaires passablement déboussolés. Au PLQ comme au PQ, tout le printemps, des courses à la direction canaliseront l’énergie. 

Chez les libéraux, le bol d’oxygène que devait apporter l’entrée en piste d’Alexandre Cusson n’a pas eu d’effet durable. Du côté du PQ, après un conseil national spécial qui a voulu ramener la souveraineté au premier plan, le verdict de Jean-Talon est douloureux; le « pour l’indépendance » des affiches du candidat péquiste n’a pas fait recette et le PQ a eu un résultat famélique – 9 % – dans une circonscription pourtant très francophone. Chez Québec solidaire, aussi, on panse les plaies de la campagne de Jean-Talon; Catherine Dorion aura à se faire plus discrète à l’avenir.

L'année de l’environnement

Pas de grandes manœuvres l’an prochain pour François Legault. Pas de baisse d’impôts à prévoir, même d’ici les élections de 2022, a prévenu le premier ministre. Pour l’an prochain, une politique d’électrification des transports, promise par l’Environnement, est au menu. Pour les stratèges caquistes, l’année 2020 devrait être celle de l’environnement. 

PHOTO PASCAL RATTHÉ, LE SOLEIL

Le premier ministre François Legault a dressé un bilan positif de sa session.

Des changements au mode de rémunération des médecins, uniquement à l’acte actuellement, sont aussi à prévoir. Même si la mise en place de la maternelle 4 ans semble rester le maillon faible du gouvernement, selon les sondages, pas question de réduire la cadence. Pour Legault, l’éducation reste la première des priorités. La détection précoce des problèmes d’apprentissage est la pierre d’assise de son plan de match.

Vendredi, la vice-première ministre, Geneviève Guilbault, a été appelée à faire un survol de sa première année au gouvernement. La lourdeur du Parlement et de la machine administrative est souvent source de frustration; la nouvelle équipe n’a pu faire les changements promis aussi rapidement que souhaité. 

Ironiquement, François Legault venait de dire que la précipitation avait parfois produit des erreurs. On corrige le tir, et les Québécois apprécient cette transparence, a-t-il souligné.

Les menaces de boycottage de Sico, puis de Rona, « l’énergie sale » de l’Ouest, les patrons qui voient avant tout de la main-d’œuvre bon marché dans l’arrivée d’étrangers, l’humeur de la population évaluée à l’aune des réseaux sociaux : François Legault a eu sa part de déclarations controversées depuis un an. Il faut dire qu’il sort quotidiennement de sa zone de confort, se prête à des points de presse quotidiens sur l’actualité. Du jamais-vu à Québec.

Mais sa cote de popularité ne se dément pas. Peut-être qu’en définitive, les Québécois se reconnaissent dans ce discours pas toujours irréprochable, des déclarations que les conseillers n’ont pas le temps de formater, d’édulcorer, d’aseptiser. 

Legault peut dire, réagir, critiquer comme le ferait le citoyen ordinaire. Comme s’il pouvait anticiper, prédire la réaction des électeurs. C’est pour lui facile… Il voit tout ça sur sa page Facebook !