(Québec) Même 50 ans après son arrivée au Québec, ma belle-mère, Maria Conceicão Medeiros Teisceira, parlait le français avec difficulté. Il fallait tendre l’oreille et souvent décoder les mots portugais qui, eux, lui venaient spontanément.

Pourtant, à Vanier, quartier populaire de Québec, elle n’a jamais manqué de clients pour ses ouvrages impeccables de couturière. Une de ses filles est devenue professionnelle au gouvernement du Québec. Un de ses petits-fils est journaliste à La Presse. Un autre est enquêteur à la Sûreté du Québec, un autre encore possède une entreprise de paysagiste. Une de ses petites-filles règne sur un parc immobilier impressionnant. Tous ses enfants et petits-enfants sont parfaitement intégrés au Québec francophone.

Beaucoup de membres de la famille de Conceicão, neveux et nièces, sont arrivés de leurs Açores natales avec, comme seul moyen d’expression pour communiquer avec la majorité francophone, leur sourire solaire. Il va sans dire qu’ils ne parlaient pas davantage l’anglais.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

« Les nouvelles balises publiées à la Gazette officielle cette semaine par le gouvernement Legault pour encadrer
les contingents de nouveaux arrivants rendent plus difficile encore leur adhésion à la société québécoise »,
écrit Denis Lessard.

Cela est passé sous le radar, mais les nouvelles balises publiées à la Gazette officielle cette semaine par le gouvernement Legault pour encadrer les contingents de nouveaux arrivants rendent plus difficile encore leur adhésion à la société québécoise. Les ressortissants qui désirent s’installer au Québec, y étudier, devront avoir « une connaissance orale du français de stade intermédiaire avancé, niveau 7 ou 8 selon l’Échelle québécoise des niveaux de compétence en français des personnes immigrantes adultes ». Cette exigence vaut pour le demandeur d’asile, mais aussi pour son époux, son conjoint de fait.

Ce niveau « intermédiaire avancé », bien des Québécois de souche ne pourraient s’y conformer, confient des sources proches de ce dossier. Au surplus, le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale était opposé à cette obligation.

Cérébral, cartésien, le ministre Simon Jolin-Barrette traite cette question avec force statistiques, jongle facilement avec les niveaux d’admission, le nombre de personnes entrées. Mais il n’a jamais manifesté la moindre empathie, la moindre compassion envers ceux qui vivent dans leur chair les conséquences des embûches administratives, qui ressentent cruellement l’absence d’un proche, d’un conjoint, d’un enfant majeur bloqué à la frontière. M. Jolin-Barrette ne connaît peut-être personne issu de l’immigration.

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Simon Jolin-Barrette, ministre de l’Immigration du Québec

Une nuance : ce test s’applique aux ressortissants déjà admis dans le Programme de l’expérience québécoise, qui ont des spécialités recherchées. Mais pour les ténors du monde des affaires, ces embûches supplémentaires sont tristement déconnectées d’une réalité incontournable. Le Québec manque cruellement de main-d’œuvre, 140 000 postes, souvent non spécialisés, ne sont pas pourvus. Pour Yves-Thomas Dorval, président du Conseil du patronat, ces tests de français à l’oral font en sorte que les citoyens venant de pays francophones et du Maghreb sont nettement favorisés. Même dans la grille générale d’évaluation, on a conféré à la connaissance du français un poids exagéré, selon lui. « Celui qui n’a pas le niveau 7 pour le français a besoin de pédaler énormément pour les autres critères pour passer le test », résume M. Dorval.

Autre effet pernicieux, le test « oral » désavantage automatiquement des groupes importants. Les Asiatiques, par exemple, parviennent rapidement à écrire et à lire le français, mais leur phonétique est si éloignée de la nôtre qu’ils s’expriment oralement avec difficulté. « Ce sera un frein énorme, et aussi une réduction de la diversité potentielle », déplore M. Dorval.

Même son de cloche du côté de la Fédération des chambres de commerce du Québec.

Nous, on pense que l’exigence d’un niveau intermédiaire avancé
pour le français éliminera d’excellents candidats malgré les investissements en francisation.

Stéphane Forget, président de la Fédération des chambres de commerce du Québec

De surcroît, avec l’obligation étendue aux proches, aux « demandeurs secondaires », « on se prive potentiellement de plusieurs candidats à l’emploi », continue M. Forget. « C’est toujours le même débat. Faut-il accueillir ici ceux qui parlent bien français ou faire venir les travailleurs dont on a besoin, en misant sur le fait qu’ils l’apprendront une fois arrivés ? », résume-t-il.

À l’Assemblée nationale, jeudi, le critique libéral en matière d’immigration, Monsef Derraji, rappelait le cri d’alarme du patronat. Surtout, il pestait contre un ministre qui avait promis que les seuils d’immigration seraient haussés. « Ils l’ont été, de 4000 ! De qui se moque-t-on ? », a lancé le libéral. Selon le ministre Jolin-Barrette, le gouvernement propose « des solutions qui sont modernes, adaptées à la réalité du marché du travail ». « Pour le Parti libéral, dit-il, c’est uniquement accueillir davantage d’individus, peu importe la considération qu’on leur porte, peu importe s’ils pourront occuper un emploi à la hauteur de leurs compétences, peu importe s’ils pourront faire vivre leur famille, peu importe s’ils pourront apprendre le français, peu importe s’ils pourront partager les valeurs québécoises inscrites dans la Charte des droits et libertés. »

Mais les communicateurs du gouvernement Legault étaient parvenus à orienter favorablement les bulletins d’information qui claironnaient mercredi que Québec fonçait, allait de l’avant avec son engagement d’imposer un test de connaissance des valeurs québécoise aux nouveaux arrivants.

En y regardant de plus près, la réalité est tout autre. Sur le test de valeurs, le gouvernement a battu en retraite. Le test de valeurs se résumera à un questionnaire en ligne, une vingtaine de questions simples. On mise sur la bonne foi des candidats en tenant pour acquis qu’ils rempliront eux-mêmes le formulaire. Et en cas d’échec, il pourra y avoir deux reprises.

On constate que la proposition contraignante de la Coalition avenir Québec a été passée à la trappe. Plus question de faire passer des tests serrés à des gens qui sont déjà sur le territoire canadien, au risque de devoir les expulser en cas d’échec.

Ottawa ne voulait rien savoir de cette obligation, pas question de psychodrames déclenchés en fonction de critères qui sont strictement de compétence fédérale. Sur ces demandeurs d’asile, avant qu’ils se trouvent au pays, le Québec peut poser toutes les questions qu’il désire, mais on ne saurait refouler des aspirants citoyens qui sont déjà admis au Canada.

Le plan de M. Jolin-Barrette risque de se heurter à bien des obstacles à Ottawa, semble-t-il. Québec veut mettre l’accent sur les travailleurs temporaires, sans augmenter le nombre d’immigrants économiques. Tabler sur le temporaire plutôt que sur le permanent ne fera pas l’affaire du gouvernement Trudeau, peut-on penser. Le quota inchangé pour ce qui est des réfugiés posera un problème d’équité entre les provinces.

Et surtout, la réunification familiale sera davantage encadrée. Plutôt que d’attendre un conjoint pendant 12 mois, il faudra prévoir 18, voire 24 mois. Et même si on traitait les dossiers plus rapidement, on se heurterait vite aux plafonds imposés par Québec.