(Québec) À trois ans des prochaines élections générales, les sondages sur les intentions de vote ne veulent pas dire grand-chose. D’autant que François Legault n’a pas encore d’adversaires à la tête du PLQ ou du PQ. Soupeser l’humeur des Québécois est beaucoup plus éclairant.

Le scrutin du 1er octobre 2018, a propulsé la CAQ au pouvoir, mais surtout, il marque un réalignement majeur de l’opinion, encore tangible aujourd’hui. Quand on leur demandait si « cela va bien au Québec », il y a un an, seul un tiers des Québécois voyait les choses d’un œil favorable. Ces optimistes sont deux fois plus nombreux aujourd’hui. « Ce n’est pas souvent qu’un scrutin provoque un tel renversement dans l’opinion », observe Youri Rivest, ancien vice-président de CROP dont l’entreprise, Synopsis, réalise désormais des sondages pour la CAQ. Après 15 ans d’administration libérale quasi ininterrompue, la morosité a vécu. Pour la première fois, les électeurs pouvaient sortir des cases prévisibles, fédéralistes contre souverainistes. Et ils ont l’air d’aimer ça.

Les sondages internes de la CAQ observent aussi que la satisfaction des électeurs à l’endroit du gouvernement dépasse les 60 %. De tels niveaux d’approbation ne sont pas fréquents. Lucien Bouchard avait obtenu 67 % au début de 1998, mais cela avait plongé de 10 points un mois plus tard. Jacques Parizeau atteignait 60 % quelques mois après son élection de 1994, et Bernard Landry avait atteint 57 % juste avant les élections de 2003, qu’il a tout de même perdues.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

François Legault a été élu premier ministre du Québec le 1er octobre 2018.

La recette du gouvernement depuis son élection ? D’abord, il profite d’une croissance économique qui étonne même les prévisionnistes. La croissance des six derniers mois a été de 2,7 % au Québec, contre 1,5 % au Canada. Une croissance robuste et des années d’austérité libérale auront gonflé les coffres. Après à peine une année au pouvoir, François Legault ne peut s’en attribuer le mérite.

Mais il a voulu casser la perception de condescendance de Philippe Couillard. Il a vite compris que la population attendait des gestes rassurants sur le front identitaire. Bien des parents québécois n’ont jamais vu de hijab à l’école, mais on leur promet que cela n’arrivera jamais.

Moins d’immigrants, plus de francisation ; entre les libéraux et les péquistes, François Legault occupe un très large spectre, faisant main basse sur le courant nationaliste.

Denis Lessard, La Presse

Des réflexes nouveaux aussi. À l’évidence, il n’aime pas tergiverser devant un problème. Il limoge très vite MarieChantal Chassé de son poste à l’Environnement, une mesure préventive avant l’ouverture de l’Assemblée nationale. La titulaire de la Culture, Nathalie Roy, paraît erratique ? On lui enlève le dossier délicat de la langue. À leur époque, Jean Charest et Philippe Couillard s’étaient torturés plus longtemps sur des décisions douloureuses : le départ de David Whissell et la mise au rancart d’Yves Bolduc.

Pour s’attirer la faveur populaire, la CAQ avait distribué des engagements. Il est facile de promettre de baisser les tarifs de stationnement des hôpitaux, mais c’est plus difficile à réaliser, constate la ministre Danielle McCann, qui a reporté la réalisation de cet engagement à 2022. Pour faire le plein de votes, la CAQ a aussi promis un troisième lien entre Québec et la Rive-Sud. Le gouffre financier qu’on entrevoit déjà laisse prévoir un passage délicat.

Progrès « homéopathiques » en santé

En santé, l’arrivée de Mme McCann a certainement changé le climat dans une organisation malmenée. Le réseau « ne fonctionne plus à coups de poing sur la table », résument les médecins. Convaincre leurs corps professionnels de faire plus de place aux infirmières praticiennes spécialisées (« super-infirmières ») et aux pharmaciens est une réalisation importante. Maillon faible du Conseil des ministres, Lionel Carmant a réalisé l’engagement de faire passer à 21 ans l’âge légal pour la consommation de cannabis et mis en place la Commission spéciale sur la protection de la jeunesse.

Mais du côté des indicateurs, les progrès en santé restent… homéopathiques. La prise en charge par les médecins de famille reste proche des résultats de Gaétan Barrette. En septembre 2018, 80,1 % des Québécois avaient un médecin de famille ; en septembre dernier, on était à 81,2 %. À Montréal, le délai moyen pour qu’une personne soit prise en charge était de 389 jours il y a un an, il était de 451 jours en juillet dernier.

Du côté des médecins, on constate que les ruptures de services en régions éloignées se font plus rares. Mais il reste des zones de combat. Beaucoup d’omnipraticiens ont pris leur retraite ; sur la Côte-Nord, il manque 25 médecins. Toutes proportions gardées, c’est comme s’il manquait 300 omnipraticiens à Montréal. Un peu partout, le problème n’est pas le manque de médecins, mais l’absence d’infirmières, dans les départements d’obstétrique, par exemple. Et le programme d’amélioration des ratios lancé par Gaétan Barrette il y a 18 mois n’a pas eu de suite. Mme McCann avait promis d’abolir les heures supplémentaires obligatoires. Elles existent toujours.

La CAQ a promis de réduire à 90 minutes le temps d’attente dans les services d’urgence. Un engagement à l’évidence irréaliste. La durée moyenne des séjours aux urgences a au contraire augmenté depuis un an : de 7,2 heures, on est passé à 7,7.

Denis Lessard, La Presse

Davantage d’aînés de 75 ans et plus frappent à la porte. L’an dernier, on attendait 64,6 jours en moyenne une opération de la cataracte, c’est 65,7 actuellement. L’attente moyenne pour un genou est de 136 jours, 10 de plus qu’il y a un an. Pour une hanche, ça va plus vite : on a retranché une journée à l’attente moyenne de 121 jours l’an dernier. Autre indicateur important, la proportion des opérations réalisées dans les délais suivant un diagnostic de cancer. Ici, 65,7 % des patients étaient traités en moins d’un mois, selon les dernières données disponibles, celles d’août 2019. C’était 65,2 % il y a un an.

Économie : l’inertie des paquebots

Du côté économique, la CAQ a déjà réduit le fardeau de la taxe scolaire, mis en place l’allocation famille, tout en gardant le cap sur l’équilibre budgétaire. « Le plus important pour moi est d’avoir respecté nos engagements pour le portefeuille des Québécois », résumait cette semaine M. Legault. La synthèse du début novembre devrait permettre de presser le pas avec certaines promesses. Eric Girard fera tomber de bonnes nouvelles… durant l’élection partielle dans Jean-Talon.

Pierre Fitzgibbon a quant à lui profondément remanié Investissement Québec et engagé beaucoup d’argent pour la protection des sièges sociaux.

Le gouvernement Legault a procédé rapidement pour ce qu’il pouvait changer. Pour faire bouger l’ensemble de l’économie, c’est toutefois une tout autre histoire.

Denis Lessard, La Presse

Les indicateurs sur le marché du travail sont très positifs, mais c’est évidemment un héritage du précédent gouvernement. Legault parlait d’emplois bien payés, mais ne citait pas de chiffres ; les stratèges de la CAQ promettent des chantiers à venir. La rémunération globale s’améliore – plus 3,2 % au deuxième trimestre au Québec, contre 2,8 % en Ontario. C’est l’activité économique, la surchauffe, qui entraîne ces augmentations de salaire. Globalement, sur le marché du travail, le Québec progresse plus rapidement que l’Ontario, mais il reste carrément derrière pour la proportion de salariés mieux rémunérés, selon l’Institut du Québec. Sur la croissance de la productivité, l’écart avec l’Ontario ne diminue pas, le gouvernement est encore « en chantier ». La diversification des exportations – concentrées à 75 % vers les États-Unis – n’a pas bougé sensiblement, une situation prévisible après seulement un an.

Le paquebot économique, par définition, bouge lentement. Même chose pour une autre obsession de François Legault : l’augmentation de la productivité et des investissements privés des entreprises. Au premier trimestre, toutes les provinces ont reculé au pays, mais le Québec a été plus résilient, marquant un recul de 0,3 %, contre 1,4 % en Ontario. Là encore, la relative bonne performance du Québec avait été amorcée avant les élections de 2018.