Comment être parent et politicien à la fois ? Apprenant à jongler avec cette difficile réalité, le ministre de la Famille, Mathieu Lacombe, et sa conjointe, Cynthia Lapointe, n’ont pas hésité à prendre les grands moyens.

Cynthia Lapointe a senti une petite panique l’envahir. Ses deux garçons venaient de lui échapper. Pas loin, juste à l’avant du Salon rouge, mais au mauvais moment : en pleine prestation de serment de leur père qui, le 18 octobre, devenait officiellement ministre.

« J’ai senti une main sur mon épaule qui m’a fait comprendre que c’était correct, que je n’avais pas à m’inquiéter », raconte Mme Lapointe.

Et comment ! Un conseiller en image n’aurait pas trouvé mieux pour rendre ce ministre sympathique, alors qu’il a fini par apposer sa signature tranquillement, pendant que le lieutenant-gouverneur s’occupait de l’un des enfants.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Les deux fils de Mathieu Lacombe lors de la prestation de serment de leur père le 18 octobre dernier

Le ton du mandat de Mathieu Lacombe, devenu ce jour-là ministre de la Famille, était donné. Ses garçons allaient s’assurer de ne pas se faire oublier.

De l’Outaouais à Terrebonne

Quelques mois plus tard, le ministre et sa conjointe ont pris la décision de partir de leur circonscription de l’Outaouais et de s’installer à Terrebonne.

Il s’agissait de se rapprocher des grands-parents pour que Mme Lapointe ait l’aide de sa famille pendant que son conjoint siège à Québec.

Si je peux être aussi présent dans la circonscription et faire avancer nos dossiers, c’est justement parce que j’ai la tête tranquille, sachant que ma famille est bien entourée.

Mathieu Lacombe, ministre de la Famille

Le déménagement a fait sourciller quelques chroniqueurs en février. Le libéral André Fortin a aussi souligné la chose à grands traits en recommandant la lecture d’un rapport à son adversaire Lacombe.

« En secondaire IV, lui a lancé M. Fortin à l’Assemblée nationale, j’ai écrit des devoirs plus longtemps que ça. Si le ministre commence à lire le rapport en quittant Québec aujourd’hui, il va avoir fini bien avant d’arriver à son nouveau domicile. »

Puis les choses se sont calmées. « On a eu des commentaires, mais je ne m’y suis pas attardée », dit Cynthia Lapointe, qui note que davantage de personnes lui ont dit avoir compris la décision.

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« Pour moi, c’est un défi de pouvoir appuyer ma conjointe à distance, surtout les jours où les enfants sont plus difficiles », dit Mathieu Lacombe, ministre de la Famille.

« C’est un sujet tabou, fait remarquer Mathieu Lacombe, mais la réalité, c’est que beaucoup de députés déménagent — surtout ceux qui ont des enfants. Le plus souvent, les familles s’installent à Québec, où on passe la moitié de la semaine. C’est courant. »

L’Outaouais, ce n’est pas l’Abitibi, mais tout de même, c’est à cinq heures et demie de Québec. La maison à Terrebonne, à mi-chemin, permet plus souvent au ministre d’attraper quelques minutes avec les enfants une heure avant le dodo, puis de poursuivre vers sa circonscription le lendemain.

« Pour moi, c’est un défi de pouvoir appuyer ma conjointe à distance, surtout les jours où les enfants sont plus difficiles, dit Mathieu Lacombe. Je suis plus absent qu’avant, mais je veux continuer d’être présent dans l’éducation des enfants. »

Difficile conciliation politique-famille

Au fédéral, la députée néo-démocrate Anne Minh-Thu Quach a décidé de ne pas se représenter aux élections. À La Presse canadienne, elle a expliqué sa décision par le fait qu’elle avait vécu une immense culpabilité de ne pas être plus présente auprès de son bébé et qu’elle était même tombée malade pendant son mandat.

La conciliation travail-famille est certes difficile pour bon nombre de familles. Mais pour les élus comme pour le personnel politique – conseillers, attachés de presse, attachés politiques –, l’éloignement et le travail réparti entre deux villes ajoutent un degré de difficulté.

En toute saison, pour tout ce monde, la vie se passe beaucoup sur les autoroutes 20, 40 ou 138, dans d’incessants allers-retours entre la capitale et la circonscription.

D’ailleurs, fait remarquer Mme Lapointe, la petite histoire derrière la scène familiale de la prestation de serment, « c’est que cela faisait trois ou quatre jours que les garçons n’avaient pas vu leur père en chair et en os et ils ne l’avaient pas vu non plus dans les coulisses ».

Alors à la seconde où ils l’ont vu, le plus jeune, qui avait 18 mois, a sauté de mes bras et le grand frère a suivi.

Cynthia Lapointe, conjointe de Mathieu Lacombe

Au cours d’une semaine typique, Mathieu Lacombe passe quelques heures en famille le lundi soir. Vers 5 h du matin, il prend la route de Québec, essaie de rentrer à temps pour coucher ses enfants le jeudi soir, puis le vendredi soir. Le samedi, il est dans sa circonscription, souvent avec les enfants.

« Je m’arrange pour que mon agenda soit bloqué un jour par semaine, le dimanche, normalement. »

Et le samedi, quand les activités de circonscription sont de nature à intéresser les enfants — une journée de compétition avec les pompiers, une fête de la pêche, etc. —, toute la famille suit.

Faut-il être partout ?

Avant de partir, Mme Quach, députée fédérale, a tenu à donner ce conseil aux autres élus : laisser tomber quelques épluchettes de blé d’Inde et autres soupers spaghetti.

« Tu n’es pas obligé de tous les faire. […] C’est rare, les fois où je me suis fait reprocher de ne pas avoir été là. »

De fait, en dehors des périodes électorales, justement, est-ce si important d’être sur place, dans sa circonscription ? En 2019, beaucoup de choses ne peuvent-elles pas se régler à distance, par téléphone, par courriel ou par Skype ?

M. Lacombe n’en est pas là. « Comme on est une bonne partie du temps à Québec, un des dangers, c’est de finir par vivre dans une bulle. Pendant notre mandat, il faut écouter ce que les gens pensent des décisions du gouvernement et c’est un excellent baromètre. »

Mais oui, les sacrifices sont importants pour eux, dit Cynthia Lapointe, comme pour beaucoup d’autres députés qui ont de jeunes enfants.

« Au quotidien, ça n’est pas toujours facile, avec un conjoint à l’horaire aussi atypique, mais le déménagement a permis à la famille de retomber sur ses pattes, de revenir à une certaine stabilité, avec mes parents qui habitent à cinq minutes. »