(Ottawa) Près de quatre ans après que Justin Trudeau a décidé de ne pas emménager avec sa famille au 24, promenade Sussex, en trop piètre état, la résidence officielle du premier ministre du Canada à Ottawa demeure toujours vacante — sauf pour le personnel de la cuisine, qui y prépare les repas pour les Trudeau. Et il semble bien que le sort de cet édifice ne sera pas scellé avant les prochaines élections.

Le Parti conservateur reproche au gouvernement Trudeau de ne pas être assez proactif dans ce dossier, une tergiversation qui coûterait cher aux contribuables. Mais aucun des dirigeants des principaux partis fédéraux ne semble vouloir se prononcer sur la rénovation ou la démolition de ce bâtiment — ni dire s’ils habiteraient eux-mêmes dans cette résidence officielle si elle était rénovée.

PHOTO GOUVERNEMENT DU CANADA

Justin Trudeau, qui vivait au 24, Sussex quand son père était premier ministre, admettait en entrevue au début de 2018 que tout chef de gouvernement qui accepterait de dépenser un cent pour cette résidence risquait de subir ensuite les foudres de l’électorat.

Avant d’être défait par les libéraux en 2015, l’ancien premier ministre conservateur Stephen Harper a vécu au 24, Sussex pendant une dizaine d’années sans approuver aucune dépense pour le bâtiment, à l’exception des réparations nécessaires ou urgentes. La vérificatrice générale de l’époque, Sheila Fraser, avait averti M. Harper en 2008 que des réparations de plus de 10 millions étaient nécessaires rien que pour assurer la sécurité de ses occupants.

David Flemming, de Patrimoine Ottawa, ne s’attend pas à ce que la Commission de la capitale nationale (CCN) prenne de décision avant les prochaines élections fédérales. L’organisme dit avoir transmis une lettre en mars dernier au premier ministre pour lui proposer la création d’un comité non partisan qui statuerait sur le sort de l’édifice ; aucune réponse n’a suivi. Patrimoine Ottawa a clairement indiqué dans cette lettre qu’il préférait que le bâtiment soit rénové et non démoli.

PHOTO GOUVERNEMENT DU CANADA

Dans un état critique

La maison, construite en 1868 par le magnat d’origine américaine du bois de construction Joseph Merrill, aussi député, a été négligée pendant des décennies depuis son acquisition par expropriation en 1943. Elle avait connu des rénovations majeures en 1951.

Dans un rapport daté d’avril 2018, la CCN qualifiait l’état de délabrement du 24, Sussex de « critique » tant il y avait des travaux à effectuer. La valeur de remplacement de l’édifice a alors été évaluée à 38,46 millions, alors que le maintien de la résidence coûterait seulement quatre millions de moins (34,53 millions). Au-delà des rénovations, cela coûte aux contribuables près de 228 000 $ par an, en moyenne, rien que pour entretenir la propriété, a déclaré la CCN.

Des données fournies récemment à La Presse canadienne par la Gendarmerie royale du Canada ont aussi révélé que la sécurité autour de la résidence officielle avait coûté 492 836 $ en 2015-2016, avant de chuter légèrement à 444 760 $ l’année suivante, puis à 240 651 $ en 2017-2018.

Lorsque le premier ministre et sa famille sont à Ottawa, ils résident quelques centaines de mètres plus loin dans un chalet situé derrière Rideau Hall, la résidence officielle de la gouverneure générale, où les Trudeau se sont installés depuis les élections.

L’ancien premier ministre libéral Paul Martin a affirmé que le 24, Sussex constituait un monument historique qui méritait d’être préservé ; Kim Campbell, qui a été première ministre conservatrice pendant quatre mois en 1993, a suggéré sa démolition, tout comme d’ailleurs Maureen McTeer, épouse de l’ex-premier ministre conservateur Joe Clark. En 2015, Mme McTeer estimait que le bâtiment ne présentait pas beaucoup d’intérêt architectural et devrait être détruit au bulldozer pour être remplacé par un édifice qui mettrait en valeur les talents des meilleurs architectes et designers du Canada.

Le 24, Sussex est classé « édifice fédéral du patrimoine », mais cette désignation n’empêcherait pas le gouvernement de démolir le bâtiment, admet M. Flemming, de Patrimoine Ottawa.