(Ottawa) Le futur candidat libéral Steven Guilbeault s’explique mal la décision du gouvernement Legault de se joindre « à une gang de climato-sceptiques » qui contestent la taxe fédérale sur le carbone devant les tribunaux.

« Je ne comprends pas la position de François Legault. En septembre 2018, il avait salué le gouvernement Trudeau pour la mise en œuvre de la tarification sur le carbone en disant qu’il en allait de l’équité au Canada », lance-t-il en entrevue avec La Presse.

« Et là, volte-face ; il se joint à des provinces comme l’Alberta, la Saskatchewan, l’Ontario — toutes des provinces qui, selon moi, ne font pas cela tant pour protéger leur champ de compétence que pour lutter contre la lutte aux changements climatiques », ajoute-t-il.

L’environnementaliste, qui sera investi candidat libéral mercredi soir à Montréal, n’achète pas l’argument qu’a mis de l’avant le premier ministre québécois, soit qu’il conteste au motif que le plan fédéral empiète sur les champs de compétence provinciaux.

« Le fédéral a fait ça avec beaucoup de doigté, d’où mon incompréhension », s’exclame Steven Guilbeault, qui s’aventure à formuler une hypothèse sur la stratégie politique sous-jacente à la décision.

« Peut-être qu’on voulait se rapprocher des provinces ; avec la Loi sur la laïcité, on a senti qu’il y avait un certain froid avec beaucoup de gens, donc de trouver quelque chose où l’on pourrait se rapprocher… c’est peut-être ça », avance-t-il.

L’aspirant politicien doute que cette contestation devant la Cour suprême du Canada se solde par une victoire des provinces, étant donné que la Saskatchewan et l’Ontario ont déjà été déboutés par des tribunaux inférieurs.

« C’est une bataille qui a pas mal l’air perdue d’avance. Je ne suis pas constitutionnaliste, mais […] les probabilités que la Cour suprême invalide les jugements sont assez faibles », affirme M. Guilbeault, qui y voit un usage discutable des fonds publics par les caquistes.

« Qu’est-ce que le Québec va gagner dans cette bataille-là ? On n’a rien à gagner ; nos compétences ont été respectées. Ça m’apparaît un prix fort à payer pour ce qui semble une stratégie pour se rapprocher de certaines provinces canadiennes », regrette-t-il.

Le NPD médusé

Le chef adjoint du Nouveau Parti démocratique (NPD), Alexandre Boulerice, s’est pour sa part indigné de l’indignation du futur porte-bannière de Justin Trudeau sur l’île de Montréal.

« Ce parti-là a un bilan environnemental vraiment pas reluisant, il vient d’acheter un pipeline qui va ajouter de la pollution et n’est même pas capable d’atteindre les cibles de réduction de gaz à effet de serre des conservateurs », dénonce-t-il en entrevue.

Mais sur le principe, le député de Rosemont—La Petite Patrie ne saisit pas lui non plus la « volte-face » du gouvernement québécois, « surtout après un congrès où il a essayé de se donner des airs d’environnementaliste ».

« Je comprends que c’est le rôle du premier ministre du Québec de défendre les champs de compétence du gouvernement du Québec ; il faut toujours le faire et on est d’accord avec ça. Par contre, l’environnement est une compétence partagée », argue-t-il.

« Je vois mal quel est l’intérêt de M. Legault de faire ça. Est-ce que c’est un coup de main qu’il veut donner au Parti conservateur indirectement. On se pose la question », lâche Alexandre Boulerice à l’autre bout du fil.

« Du muscle aux opposants »

Dans le camp conservateur, le député Gérard Deltell reconnaît qu’en se joignant aux contestataires, le Québec « donne du muscle aux opposants », mais insiste qu’il est « tout à fait pertinent » pour le gouvernement cherche à défendre son champ de compétence.

Car « si on autorise le fédéral à imposer une mesure qui, à notre point de vue, relève exclusivement du champ de compétence provincial, il peut faire la même chose pour d’autres mesures, et ça pourrait avoir d’autres conséquences néfastes », dit-il.

La question ne se posera peut-être plus si les conservateurs sont élus en octobre prochain, rappelle M. Deltell: « Ça, c’est sûr. On a été clair dès le départ: un des premiers gestes qu’un gouvernement Scheer poserait sera d’annuler la taxe carbone ».

Ottawa, « dernier de classe »

Au Bloc québécois, le député Rhéal Fortin ne voit pas en ce futur combat une façon pour Québec de s’allier objectivement à des provinces qui veulent faire passer à la trappe la taxe fédérale sur le carbone.

« Selon ce que j’en comprends, Québec ne contestera pas le droit du fédéral à imposer une taxe sur le carbone. On souhaite protéger la bourse sur le carbone, ne pas donner le droit à Ottawa le droit d’évaluer la performance de la bourse », soutient-il au téléphone.

« Ottawa, dans ce dossier-là, c’est le dernier de classe. Québec a toujours été à l’avant-garde en matière d’environnement. On ne veut certainement pas que le dernier de classe vienne corriger la copie du premier de classe », tranche M. Fortin.

Lundi, à Québec, le premier ministre François Legault s’est défendu de se ranger dans le camp des adversaires de la taxe sur le carbone.

« Moi et Justin Trudeau, on est tous deux d’accord pour mettre un coût sur le carbone, un prix sur le carbone. Mais il y a plusieurs façons de le faire et ça devrait être à chaque province de décider comment faire », a-t-il exprimé.

Guilbeault promet d’être loyal envers les libéraux

Steven Guilbeault a beau avoir affiché une dissidence sur le pipeline Trans Mountain, il n’a pas l’intention de « faire un Jody Wilson-Raybould » de lui-même sur les questions environnementales.

L’aspirant politicien se fait rassurant : oui, il y a une ligne de parti et il n’a pas l’intention de la franchir trop souvent.

« J’ai travaillé à Greenpeace pendant dix ans. Est-ce que j’étais d’accord avec 100 % des décisions, 100 % du temps ? Bien sûr que non. Mais on décide de rester dans l’organisation parce qu’on pense qu’on pense qu’on peut y accomplir plus en y étant qu’en n’y étant pas », soutient M. Guilbeault en entrevue.

Mme Wilson-Raybould, l’ancienne ministre de la Justice, a mené une campagne sans merci contre le gouvernement Trudeau après ce qu’elle considérait comme une rétrogradation au conseil des ministres, relativement à son refus d’obtempérer dans l’affaire SNC-Lavalin.

« Sur le pipeline, j’ai affiché une dissidence, renchérit M. Guilbeault. Après ça, est-ce que je vais continuer de critiquer mon propre gouvernement ? J’en doute, mais je vais continuer d’être un militant pour la question environnementale et la question climatique au sein du Parti libéral, qu’il soit au gouvernement ou non. »

Le militant écologiste des 25 dernières années croit qu’il a démontré qu’il est « pragmatique » et qu’il est capable de travailler avec toutes sortes de monde.

Oui, certains partis comme le Parti vert du Canada ou le Nouveau Parti démocratique sont plus ambitieux dans leurs propositions environnementales, mais « en sachant très bien qu’ils n’auront jamais à (les) mettre de l’avant ».

« L’exercice du pouvoir exige qu’on fasse des compromis, dit-il. C’est vrai à l’échelle d’un pays, c’est vrai à l’échelle d’une famille. J’ai quatre enfants. Tout le monde n’a pas tout ce qu’il veut 100 % du temps, ça ne marche pas comme ça. »

- Avec La Presse canadienne