(Ottawa) Le gouvernement Trudeau subit des pressions croissantes au pays pour que le Canada intensifie ses efforts afin que le Myanmar soit traîné devant la Cour internationale de justice pour y répondre du génocide des Rohingya.

Trente-quatre sénateurs — le tiers de la chambre haute — et plus de 100 organisations et défenseurs des droits de la personne au Canada ont adressé cette semaine une lettre commune à la ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland. Ils demandent au Canada d’engager une procédure devant la Cour internationale de justice, à La Haye, pour violation de la Convention des Nations unies pour la prévention et la répression du crime de génocide.

Le Canada est devenu en septembre 2018 le premier pays à reconnaître officiellement comme un génocide les crimes commis contre la minorité musulmane des Rohingya au Myanmar. Le Canada a aussi dépouillé de sa citoyenneté honorifique Aung San Suu Kyi, la dirigeante de facto du Myanmar, pour son inaction dans ce dossier.

Sur cette base, les sénateurs et militants déclarent dans leur lettre cette semaine que le Canada a maintenant l’obligation morale et juridique de passer à l’étape suivante et d’invoquer la convention des Nations unies sur le génocide, afin que le Myanmar soit tenu de rendre des comptes à l’échelle internationale pour ses crimes contre les Rohingya.

Cette initiative fait suite à plusieurs lettres semblables qui ont également été envoyées au cours des dernières semaines à la ministre Freeland et à son collègue de la Justice, David Lametti, notamment une lettre émanant d’un groupe de députés fédéraux de tous les partis qui ont également appelé le Canada à entamer des procédures judiciaires internationales.

Les conseils municipaux de Montréal et de Toronto ont aussi adopté ce printemps des motions unanimes et plusieurs autres maires canadiens et organisations de défense des droits ont envoyé leur propre lettre à Mme Freeland pour exhorter le Canada à demander justice pour les massacres et les atrocités perpétrés contre les Rohingya au Myanmar.

Plutôt devant la CPI

Dans une déclaration publiée jeudi, Marie-Pier Baril, attachée de presse de la ministre Freeland, a indiqué que le gouvernement était convaincu que les responsables des atrocités commises à l’encontre des Rohingya devaient être jugés, et elle a rappelé que le Canada avait déjà sanctionné des commandants militaires.

Mais plutôt que d’engager le processus de manière indépendante, le Canada a appelé le Conseil de sécurité des Nations unies à renvoyer plutôt le dossier devant la Cour pénale internationale, qui entend les accusations déposées contre des individus pour génocide, crimes de guerre ou crimes contre l’humanité. Le Canada fournit également plus de 300 millions d’aide humanitaire à cette crise, y compris aux partenaires qui se trouvent au Bangladesh.

L’année dernière, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a publié un rapport à la suite de sa mission d’enquête dans trois États du Myanmar, documentant le ciblage systématique de civils rohingya par des militaires, notamment des viols collectifs, l’esclavage sexuel et la destruction de centaines de villages.

Un peu plus tôt, l’envoyé spécial du Canada au Myanmar, Bob Rae, exhortait le Canada à jouer un rôle de premier plan dans cette crise humanitaire, tout en plaidant pour une augmentation des dépenses consacrées à la crise migratoire dans la région.

Les violences ont poussé près de 725 000 Rohingya à fuir le pays pour trouver refuge au Bangladesh voisin.

Fareed Khan, porte-parole du Réseau des droits de la personne Rohingya, a souligné la nécessité d’une action plus urgente pour aider les centaines de milliers de personnes qui ont fui le pays et les centaines de milliers d’autres qui sont bloquées au Myanmar, toujours confrontées à des viols, des tortures et la mort.

« En tant que Canadiens, en tant qu’êtres humains, nous avons la responsabilité morale d’agir », déclarait-il lors d’une récente conférence de presse à Ottawa. « Si nous voulons être à la hauteur de notre prétention de champions des droits de la personne, si nous voulons être à la hauteur de notre image de nation morale, nous n’avons d’autre choix que d’agir pour arrêter ce génocide. »