Le piège était évident, mais certains sont inévitables. Une loi sans définition est difficilement applicable.

Alors, le ministre Simon Jolin-Barrette a déposé un amendement qui vient définir ce qu’est un « signe religieux ».

Après tout, même en suspendant les dispositions antidiscrimination, le gouvernement ne pouvait pas interdire seulement aux musulmanes de porter un voile sur la tête…

Par ailleurs, contrairement à la loi française ou à la défunte charte de Bernard Drainville, il n’est pas question de taille des signes. On n’interdit pas seulement le port de signes « ostentatoires » ; on interdit tous, tous, tous les signes religieux pour les procureurs, policiers et enseignants de l’école publique. Peu importe la taille. Ce qui compte, c’est la signification.

Voilà au moins un problème de réglé : le directeur d’école n’a pas à sortir sa règle pour mesurer les dimensions d’un objet religieux, ils sont tous bannis.

Simple et clair, n’est-ce pas ?

Euh… pas nécessairement…

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Pour ce qui est du signe, il couvre « tout objet, notamment un vêtement, un symbole, un bijou, une parure, un accessoire ou un couvre-chef ».

Mais « religieux » ?

C’est un objet porté « en lien avec une conviction ou une croyance religieuse ».

Quid des boucles d’oreilles de votre aïeule en forme de croix, pour vous, qui êtes athée ? Vous ne les portez pas « en lien avec une conviction religieuse », mais par coquetterie et affection, disons. Faut-il que le directeur vous interroge ?

« Crois-tu en Dieu ? En Jésus ? Si oui, tu les enlèves, sinon tu les gardes, pas de souci.

– Je suis en questionnement…

– Ça m’aide pas ! »

Pas de problème, ça n’arrivera pas, car le ministre a ajouté ceci : si le signe peut être « raisonnablement considéré comme faisant référence à une appartenance religieuse », il est « religieux » aux yeux de la loi. Que vous soyez croyant ou non, ce qui compte, c’est la signification.

« Dis donc, prof, le poignard stylé qui te pend sur le poitrail, ce serait pas un petit kirpan, par hasard ?

– Ah non, c’est juste un couteau. J’ai acheté ça lors d’un voyage au Pendjab… »

À partir de quand un objet ou un vêtement devient-il « raisonnablement considéré comme faisant référence à une appartenance religieuse » ?

Ironiquement, plusieurs contestent que le voile soit une obligation religieuse pour les musulmanes. Si ce n’est pas une obligation religieuse, est-ce donc une pure tradition culturelle ?

Et une professeure de chimie qui porte un turban pour des raisons esthétiques ou par admiration pour Francine Grimaldi, a-t-elle une plus grande liberté vestimentaire que son collègue sikh qui enseigne l’anglais ?

On n’est plus au temps des uniformes. Les normes vestimentaires ont complètement éclaté.

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On peut continuer à chercher des poux jusqu’à demain, ce n’est pas vraiment mon propos. Les gens en général sont raisonnables, le sens de la loi est compris par tout le monde de bonne foi.

Sauf que les protestataires et leurs avocats sont déjà à l’œuvre pour contester le fond de la loi, malgré la suspension de l’application des chartes pour ce projet de loi – quitte à obtenir une déclaration d’inconstitutionnalité sans effet.

Alors, vous pensez bien, ils sauteront sur cette définition, en démontreront les incohérences et se rendront devant les tribunaux ou les arbitres du travail. L’imagination furibonde des juristes fournira aux juges des cas bien plus délicats que les exemples imaginaires évoqués plus haut dans cette chronique.

La question est donc loin d’être « réglée une fois pour toutes ».

Et, chose encore plus intéressante, les commissions scolaires récalcitrantes pourront créer suffisamment de confusion juridique pour prétendre que la loi est inapplicable et faire comme si elle n’existait pas. Un avis juridique à ce sujet est si vite rédigé…

C’est alors que le gouvernement se retrouvera avec l’autre problème, dont on ne veut pas trop parler, et au sujet duquel la loi est muette : quelles sont les sanctions en cas d’inobservance de la loi ? M. Jolin-Barrette enverra-t-il des inspecteurs de boutons de manchette ? Des détecteurs de convictions ?

Alors qu’il pense tirer la situation au clair, le gouvernement touche aux contradictions terminales de ce projet : on veut empêcher certains employés de l’État de manifester leur foi… mais, pour ce faire, l’État devra parfois les interroger à ce sujet.

Ça ne me semble pas très, très laïque…