(Ottawa) La ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, a catégoriquement rejeté, jeudi, la demande de la Chine de libérer la dirigeante de Huawei, Meng Wanzhou, affirmant que cela créerait un dangereux précédent qui pourrait mettre en péril tous les Canadiens à l’étranger.

Mme Freeland se trouvait depuis mercredi à Washington, où elle a rencontré de hauts responsables de la Maison-Blanche et des élus américains, alors que le premier ministre Justin Trudeau et le président Donald Trump se rencontreront jeudi prochain dans la capitale américaine.

Le cabinet du premier ministre a annoncé jeudi que les dirigeants utiliseront cette rencontre bilatérale pour discuter de la ratification du nouvel accord de libre-échange nord-américain et des différends commerciaux qui sont toujours en suspens entre le Canada et les États-Unis.

Cette rencontre donnera également l’occasion aux deux leaders de discuter de la stratégie à adopter avant le sommet des dirigeants des pays du G20, au Japon à la fin du mois — une occasion de rencontrer le président chinois, Xi Jinping. MM. Trudeau et Trump parleront d’ailleurs jeudi prochain à Washington des deux Canadiens détenus en Chine depuis six mois.

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Michael Kovrig et Michael Spavor.

La Chine a arrêté en décembre Michael Kovrig et Michael Spavor, en représailles apparentes de l’arrestation par la police canadienne à Vancouver de la dirigeante de Huawei, en vertu d’un mandat d’extradition américain.

Le Canada se trouve entre le marteau et l’enclume dans ce litige entre ses deux plus importants partenaires commerciaux. M. Trudeau a beau soutenir que le Canada n’avait pas d’autre choix que de respecter la règle de droit dans cette affaire, il n’a pas la possibilité de plaider sa cause en personne avec des dirigeants chinois, qui refusent avec soin, semble-t-il, de le rencontrer ou d’en discuter.

«Ce que je peux dire, c’est que les difficultés actuelles dans les relations sino-canadiennes sont uniquement causées par la partie canadienne, qui doit en assumer toute la responsabilité», a déclaré jeudi Geng Shuang, porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères.

«Nous espérons que (le Canada) prendra au sérieux les graves préoccupations de la Chine, qu’il relâchera Mme Meng Wanzhou sans plus tarder et veillera à ce qu’elle retourne en Chine saine et sauve, et qu’il prendra des mesures concrètes pour ramener rapidement les relations bilatérales sur la bonne voie.»

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Meng Wanzhou

Mme Freeland a aussitôt répondu que ce n’était pas une option envisageable. «Ce serait en fait un très dangereux précédent pour le Canada de modifier, sous une pression extérieure, l’application d’un traité d’extradition», a-t-elle déclaré. «Réfléchissons aux conséquences d’un tel précédent : nous pourrions facilement nous retrouver dans une situation où, en agissant dans un cas spécifique, on menacerait la sécurité de tous les Canadiens de par le monde.»

Assurance agricole bonifiée

En plus d’arrêter MM. Kovrig et Spavor, Pékin a bloqué les importations de produits agricoles canadiens tels que le canola et le porc, affirmant qu’ils sont infestés ou présentent des problèmes d’étiquetage. Ottawa a promis jeudi qu’Exportation et Développement Canada offrirait une assurance agricole supplémentaire de 150 millions aux producteurs de canola qui cherchent à vendre leurs récoltes sur de nouveaux marchés.

Lors de sa visite à Ottawa, la semaine dernière, le vice-président américain, Mike Pence, a déclaré que M. Trump ferait pression sur le président Xi pour que la Chine libère MM. Kovrig et Spavor, et qu’il établirait un lien entre le sort des deux Canadiens et les pourparlers commerciaux plus larges entre Washington et Pékin. Affaires mondiales Canada indique que M. Spavor a reçu sa huitième visite consulaire de diplomates canadiens jeudi, un jour après la visite consulaire rendue à son compatriote Kovrig.

Alors que MM. Trudeau et Trump se sont croisés lors de divers événements internationaux et qu’ils ont eu plusieurs entretiens téléphoniques au cours de la dernière année, ce sera leur première rencontre formelle depuis que le président américain a insulté le premier ministre, il y a un peu plus d’un an, après le sommet du G7 dans Charlevoix. Le président Trump avait alors qualifié Justin Trudeau de «malhonnête» et de «faible» sur Twitter, tout en rejetant le communiqué final du G7 qu’il venait d’approuver.

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Donald Trump et Justin Trudeau lors du sommet du G7 à Charlevoix, le 8 juin 2018.

Les deux dirigeants ont ensuite gardé contact, puisque leurs gouvernements respectifs devaient s’entendre pour renouveler l’Accord de libre-échange nord-américain — une renégociation imposée par M. Trump au Canada et au Mexique. Avec la récente suppression des droits de douane américains sur les importations d’acier et d’aluminium canadiens et mexicains, la ratification du nouvel accord commercial peut maintenant aller de l’avant dans les trois législatures.

Le Sénat mexicain devrait donner son accord juridique final la semaine prochaine, mais un tango politique est engagé entre Ottawa et Washington. Le gouvernement canadien veut marcher d’un même pas avec Washington dans ce dossier — Ottawa ne veut surtout pas aller plus vite que le Congrès.

Ratification : un échéancier serré

M. Trudeau a déposé mardi au Parlement le projet de loi de ratification de l’ACEUM, qui pourrait être adopté avant l’ajournement estival des travaux à la Chambre des communes, le 21 juin. Mais si le Congrès américain devait traîner de la patte, des sources au gouvernement canadien ont indiqué que la Chambre des communes pourrait être rappelée après la pause estivale, lors d’une dernière session précédant le déclenchement des élections fédérales du 21 octobre, ont indiqué des sources au gouvernement canadien.

Mme Freeland a évité jeudi une série de questions sur le moment exact de la ratification au Canada, lors de sa conférence de presse à l’ambassade du Canada à Washington. «Ni trop vite ni trop lentement» : il faudra, a-t-elle dit, passer beaucoup de temps à parler aux homologues américains «pour maintenir le rythme».

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Mike Pompeo et Chrystia Freeland, mercredi, à Washington.

La ministre Freeland a rencontré à Washington jeudi deux sénateurs influents - un républicain et un démocrate. La veille, elle avait aussi rencontré le représentant américain au Commerce, Robert Lighthizer, et le secrétaire d’État, Mike Pompeo.

Des démocrates à la Chambre des représentants sont moins enthousiastes à propos du nouvel accord — certains voudraient à tout prix refuser au président Trump le plaisir de se vanter d’une victoire commerciale. D’autres démocrates souhaiteraient par ailleurs ajouter à l’accord des dispositions plus strictes sur les normes du travail et de l’environnement au Mexique, mais les législateurs de ce pays ont approuvé une nouvelle loi sur la réforme du travail, qui a été saluée à Ottawa et par de nombreux élus à Washington.