(Montréal) « On est dans un spectacle ici, on se comprend ? » Le metteur en scène Dominic Champagne discute à bâtons rompus avec une poignée de militants de la Coalition avenir Québec (CAQ), en marge du Conseil général de la fin de semaine, premier rassemblement du parti depuis sa victoire électorale.

En matière de spectacle, Champagne s’y connaît. C’est lui qui est derrière Love, qui a ressuscité l’ère des Beatles à Las Vegas. Hier, le militant vert arborait un macaron de la CAQ — il a adhéré au parti — et même un autre où l’on pouvait lire « J’aime mon premier ministre ».

Le parti a déjà près de 10 ans, mais la plupart des 1200 militants réunis en fin de semaine sont manifestement des néophytes. Plus de 300 se sont retrouvés hier dans un atelier qui leur apprenait notamment à photographier leur député ou des ministres qu’ils croiseraient dans leur circonscription pour nourrir le site web du parti – une employée est affectée à cette tâche en permanence. Même la présidente de la plénière en était de toute évidence à ses premières armes ; un délégué proposa « la question préalable », formule consacrée pour déclencher un vote. Elle attendait la suite de l’argument.

Aussi, 25 ans après la fondation de l’Action démocratique du Québec, les militants de l’aile droite sont métamorphosés. Quelques climatosceptiques critiquaient hier le fait que l’argent des contribuables puisse être dépensé pour calmer les angoisses sans fondement du « lobby environnementaliste ». On a interpellé les quatre panélistes, indubitablement pro-environnement. « Lequel d’entre vous a une formation scientifique ? » Silence embarrassant. « Le Québec ne sauvera pas la planète », a dit Éric Boisclair, militant de Fabre, pour qui la CAQ n’a que faire des propositions sur les gaz à effet de serre (GES). « Laissons faire les GES et baissons les taxes comme les gens le souhaitent », a-t-il lancé. L’administration Trump s’est retirée de l’accord de Paris sur le climat parce qu’elle disposait des études de 300 chercheurs qui ne voyaient pas de lien entre la pollution et le réchauffement de la planète, a renchéri Alain Bonnier, militant de Mille-Isles. Quelques applaudissements, bien mitigés.

Car la salle était résolument ailleurs. 

Aujourd’hui, le militant caquiste est visiblement vert, même si les résolutions adoptées hier sont d’une généralité, d’une timidité étonnantes.

Champagne était aussi sans repères dans ce genre de rassemblement. Ses premiers contacts avec François Legault ne datent pas d’hier. En 2011, en passant par un ami commun, il avait pu convaincre le chef du tout nouveau parti de ne pas cautionner le fractionnement hydraulique – le gaz et le pétrole de schiste avaient pourtant la cote à l’époque chez les ténors économiques.

Le programme de la CAQ aux dernières élections était pratiquement une page blanche. Champagne, avec son « Pacte » sous le bras, avait rencontré Legault un mois après les élections. Le conseiller Stéphane Gobeil prenait furieusement des notes ; l’expression « urgence climatique » se retrouvera dans le message inaugural du gouvernement.

En coulisses, la présence de Champagne au Conseil général de la CAQ avait été soigneusement chorégraphiée. Conseiller de François Legault, Pascal Mailhot était l’intermédiaire et fit part de ses « angoisses ». On ne pouvait refuser une carte de membre à Champagne, mais on a exigé qu’il ne fasse pas dérailler l’évènement. « Et je leur ai dit que je n’avais pas l’intention de pisser dans la soupe », a résumé Champagne.

Pendant deux longs coups de fil — le dernier avait duré plus de 30 minutes avec le ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, Benoit Charette, vendredi —, il a été convenu que l’environnementaliste, vedette d’une table ronde, pourrait faire un point de presse en début de journée hier. Il ne devait toutefois pas intervenir quand les délégués discuteraient des propositions en plénière. Il le fit finalement, avec un amendement sur le gaz naturel, formulation convenue à l’avance avec le ministre Charette.

Dans les discussions avec le cabinet Legault, Champagne a mis sur la table un plan ambitieux pour un véritable virage vert. Il s’est fait répondre : « Nos militants ne nous suivront pas là-dedans. » Pour ne pas porter ombrage au rassemblement de la fin de semaine, il a accepté d’en reporter un peu l’annonce.

Au fil des échanges, Champagne n’a pas été tendre avec certains projets qui ont déjà la bénédiction du gouvernement : le troisième lien à Québec, c’est la voie royale pour l’étalement urbain et le recours à l’automobile ; le projet d’usine d’urée à Bécancour, une hérésie ; le gaz naturel liquéfié (GNL), l’oléoduc gazier et son terminal sur le Saguenay sont un sacrilège, alors que l’argument selon lequel on ne fait que transporter le gaz sans l’utiliser ne tient pas la route. « On transporte du poison », laisse-t-il tomber. Les promoteurs bénéficient de moyens colossaux ; en sortant du bureau du premier ministre l’automne dernier, Champagne avait croisé l’armada des lobbyistes de GNL, qui venaient vendre leur projet. Une minière voulait éviter le verdict du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement, et un ancien président de l’organisme de surveillance avait conseillé de limiter la production pour passer juste sous le radar.

Les partisans du développement ne manquent pas de moyens.