Le premier ministre Justin Trudeau bombe le torse face à la Chine, à la satisfaction de l’opposition conservatrice.

Il y a quelques mois à peine, pourtant, sa diplomate en chef disait encore à un membre du Politburo du Parti communiste que l’élargissement des liens commerciaux sino-canadiens constituait « une priorité ».

« La Chine prend des mesures plus fortes qu’avant pour essayer d’imposer sa volonté sur la scène mondiale, et des pays occidentaux et des démocraties à travers le monde s’unissent pour signaler que ce n’est pas quelque chose qu’on doit continuer à tolérer », a lâché hier Justin Trudeau, invité à commenter l’état des relations Ottawa-Pékin.

Les liens diplomatiques ont été sérieusement mis à mal dans la foulée de l’arrestation, en décembre dernier, de Meng Wanzhou, numéro deux du géant chinois des télécoms Huawei, qui a été appréhendée à Vancouver à la demande de Washington. Quelques jours plus tard, deux Canadiens étaient jetés en détention en Chine.

Le chef conservateur Andrew Scheer a prévenu il y a quelques jours, dans un discours livré à Montréal, qu’il serait un tenant de la ligne dure avec le régime chinois s’il est élu le 21 octobre prochain. Il s’est moqué du même souffle de son adversaire libéral, l’accusant de rétropédalage.

« Le changement soudain de Justin Trudeau face à la Chine n’est qu’un revirement désespéré en année électorale. […] Au fond de lui-même, [Justin] Trudeau admire la “dictature de base” de la Chine. S’il est réélu cet automne, il reprendra sa politique d’apaisement avec la Chine. » — Andrew Scheer, chef conservateur

Rencontre Freeland-Wang

Le premier ministre avait amorcé son premier mandat en courtisant l’empire du Milieu, désireux d’accroître les échanges commerciaux entre le Canada et la puissance économique asiatique. Les deux pays avaient lancé des discussions exploratoires sur la conclusion d’un traité de libre-échange en 2016.

Les liens commerciaux ont d’ailleurs été au cœur d’une rencontre qui s’est tenue il y a près d’un an entre la ministre des Affaires étrangères du Canada, Chrystia Freeland, et un membre du Parti communiste chinois, Wang Chen, selon des documents obtenus par La Presse en vertu de la Loi sur l’accès à l’information.

« Accroître les échanges commerciaux avec la Chine est une priorité pour le Canada ; espoir que le Canada et la Chine peuvent trouver une façon d’aller de l’avant », est-il écrit en style télégraphique dans ces notes préparées pour la ministre en prévision de la réunion qui s’est tenue à Ottawa le 12 juin 2018.

Toutefois, dans la section touchant les affaires consulaires, on recommandait à Mme Freeland de lancer une mise en garde à son interlocuteur. « De nombreux cas consulaires médiatisés et enjeux en Chine ; impact sur la perception qu’ont les Canadiens de la Chine ; crée des obstacles à une relation bilatérale », est-il écrit.

Les fonctionnaires ont aussi porté à l’attention de la ministre des éléments entourant les tensions commerciales mondiales. « Comme la Chine, le Canada est aussi confronté à des difficultés dans des dossiers commerciaux vis-à-vis des États-Unis », peut-on lire dans le document, dont certains passages ont été caviardés.

Dégradation des liens

Mais depuis cet entretien entre Chrystia Freeland et Wang Chen, l’un des 25 membres du Politburo, l’organe central décisionnel du régime chinois, les choses ont tourné au vinaigre. Et à voir la façon dont agit le régime de Xi Jinping, Ottawa devrait aller encore plus loin, estime Guy Saint-Jacques, ancien ambassadeur du Canada en Chine.

« Le seul langage qu’ils [les Chinois] comprennent, c’est la fermeté, dit-il à La Presse. Moi, je commencerais par dire que parce que le lien de confiance est brisé, il n’est plus question qu’on négocie un accord de libre-échange, et qu’on dépose une plainte formelle à l’OMC sur les pratiques chinoises à l’endroit des exportations de canola. »

Celui qui a été chef de mission à Pékin de 2012 à 2016 estime que le premier ministre Trudeau n’avait d’autre choix que de durcir le ton. « Ce qu’il a dit [hier], c’était majeur. C’était une reconnaissance de la nouvelle Chine, la Chine plus agressive, plus arrogante. Ça marque une évolution importante », juge-t-il.

« Je pense aussi que M. Trudeau durcit le ton parce qu’il se rend compte que la crise actuelle, la période de turbulences, risque de durer assez longtemps », conclut Guy Saint-Jacques.