Les parlementaires ont mis un terme hier aux consultations sur le projet de loi 21 sur la laïcité de l’État. En deux semaines, ils ont entendu des groupes aux opinions tranchées et opposées. Québec procédera maintenant à l’étude détaillée du projet de loi. Son objectif : l’adopter avant le 14 juin. Mais invoquera-t-il le bâillon ? Bilan des positions entendues ces derniers jours.

POUR

GUY ROCHER Le sociologue émérite Guy Rocher, 95 ans, a toujours les yeux tournés vers l’avenir. Il s’est dit inquiet cette semaine pour l’école publique, et surtout, il redoute que celle-ci ne soit « reconfessionnalisée », si Québec n’interdit pas le port de signes religieux par les enseignants.

CONTRE

CHARLES TAYLOR ET GÉRARD BOUCHARD À l’autre extrême, le philosophe Charles Taylor s’est indigné que le gouvernement Legault inclue les enseignants dans son projet de loi, alors que le rapport qu’il avait cosigné en 2008 avec le sociologue Gérard Bouchard ne le recommandait pas. « Le gouvernement sème la division », a-t-il dit. De son côté, M. Bouchard affirmait le lendemain que le Québec « n’a[vait] pas l’air d’une société décente ».

POUR

CONSEIL DU STATUT DE LA FEMME Le Conseil du statut de la femme, qui a pour mission de conseiller le gouvernement sur tout sujet lié à l’égalité, au respect des droits et au statut de la femme, appuie le gouvernement Legault dans sa volonté d’interdire le port de signes religieux aux fonctionnaires exerçant un pouvoir coercitif. Le Conseil a toutefois suggéré hier à Québec de mener plus d’études avant d’étendre cette interdiction aux enseignants.

CONTRE

FÉDÉRATION DES FEMMES DU QUÉBEC Usant d’un ton beaucoup plus vindicatif, la Fédération des femmes du Québec (FFQ) a dénoncé hier le caractère « sexiste » du projet de loi défendu par le ministre Simon Jolin-Barrette. Idil Issa, jeune Québécoise noire de confession musulmane, l’a accusé de créer un nouveau « plafond de verre ». En le regardant dans les yeux, elle lui a dit : « J’ai l’intention de briser ce plafond de verre […]. J’aurai [un jour] une position d’autorité et je serai plus juste que vous. »

POUR 

MOUVEMENT LAÏQUE QUÉBÉCOIS Comme son nom le laisse présager, le Mouvement laïque québécois a demandé cette semaine à Québec d’étendre son projet de loi à davantage d’employés du secteur public. L’association souhaite par exemple qu’on interdise à tous les employés des établissements scolaires, y compris les cégeps, de porter des signes religieux.

CONTRE

CONFÉDÉRATION DES SYNDICATS NATIONAUX (CSN) Contrairement au Mouvement laïque québécois, la CSN a mis tout son poids politique pour demander au gouvernement de reculer sur son projet de loi, affirmant qu’il « cautionne les préjugés » et qu’il risque actuellement de « ghettoïser » certaines femmes « qui pourraient devoir rester à la maison ». Si le projet de loi est adopté, le syndicat souhaite que la clause de droits acquis soit étendue à tous les employés déjà en poste qui sont visés par l’interdiction du port de signes religieux, peu importe s’ils changent ou non d’employeur. Le ministre Simon Jolin-Barrette a refusé hier de se plier à cette demande.

POUR

PATRICK TAILLON, professeur de droit Patrick Taillon, qui enseigne le droit à l’Université Laval, a affirmé que le projet de loi 21 était « nécessaire et pondéré » et adoptait une approche « équilibrée et modérée ». Le constitutionnaliste a notamment salué cette semaine l’utilisation par le gouvernement Legault de la disposition de dérogation, car un « constat s’impose », selon lui : « Depuis plusieurs décennies, la jurisprudence de la Cour suprême du Canada sur la liberté et la neutralité religieuse suscite au Québec un problème d’acceptabilité sociale. »

CONTRE

PIERRE BOSSET, professeur de droit public En revanche, le professeur de droit public à l’UQAM Pierre Bosset a dénoncé cette semaine le projet de loi 21 du gouvernement Legault, estimant qu’il « dénaturait les principes et les exigences de la laïcité et portait atteinte à des libertés et droits fondamentaux d’une manière injustifiée ». Selon lui, le ministre Jolin-Barrette aborde la laïcité « sous un angle extrêmement restrictif », ce qui « représente un recul pour les reconnaissances et l’exercice des droits fondamentaux »

ILS ONT DIT

« Beaucoup de groupes sont venus nous dire qu’on n’allait pas assez loin, d’autres groupes nous ont dit qu’on allait trop loin. Je pense que notre position fait consensus parce qu’elle est modérée et qu’il s’agit d’un compromis. Le gouvernement est au bon endroit et ça va rassembler les Québécois. » — Simon Jolin-Barrette, ministre de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion et leader parlementaire du gouvernement de la Coalition avenir Québec

« La suite des choses [dans l’étude du projet de loi] devra refléter la diversité des points de vue que nous avons entendus. […] On pense qu’un bâillon est quelque chose de radical pour un projet de loi qui brime les droits et libertés. » — Hélène David, députée libérale et porte-parole de l’opposition officielle en matière de laïcité

« [Que nous reste-t-il à ce stade-ci ?] Il nous reste encore de l’espoir. Nous utiliserons ces prochaines semaines tous les moyens démocratiques et politiques que nous avons pour convaincre le gouvernement de changer d’idée. » — Sol Zanetti, député solidaire et porte-parole du deuxième groupe d’opposition en matière de laïcité

« Pour l’essentiel, on est d’accord avec le gouvernement, mais on a toujours des divergences. Nous ne comprenons toujours pas pourquoi les écoles privées [subventionnées] ne sont pas assujetties à ce projet de loi. » — Pascal Bérubé, chef par intérim du Parti québécois