(Québec) Alors que les consultations du projet de loi 21 sur la laïcité de l’État se terminent jeudi, la CSN a déploré mercredi que le gouvernement Legault « cautionne les préjugés » en interdisant le port de signes religieux à certains employés du secteur public. À l’autre bout du spectre, le Mouvement laïque québécois a aussi réclamé mercredi que le projet de loi soit étendu à davantage d’employés. Bilan.

Un risque de ghettoïsation

La Confédération des syndicats nationaux (CSN) a déploré hier que le projet de loi 21 « cautionne les préjugés » et risque de « ghettoïser » certaines femmes « qui pourraient devoir rester à la maison ». Le syndicat, qui défendait pourtant en 2013 les dispositions prévues dans le compromis Bouchard-Taylor, en plus de l’interdiction du port de signes religieux pour les enseignants, change ainsi d’approche. Selon son président, Jacques Létourneau, une nouvelle garde générationnelle au sein du syndicat explique ce changement de cap. La CSN s’est ainsi prononcée contre le projet de loi 21, contre l’utilisation de la disposition de dérogation prévue par le gouvernement Legault, et elle a dit souhaiter que la clause de droits acquis prévus pour les employés visés par la loi soit étendue aux élèves qui étudient actuellement pour occuper ces mêmes postes.

« Toutes les religions sont sexistes »

Contrairement à la CSN, le Mouvement laïque québécois a pour sa part demandé hier au gouvernement Legault d’étendre son projet de loi à davantage d’employés du secteur public. L’association souhaiterait par exemple qu’on interdise à tous les employés des écoles (y compris les cégeps) de porter des signes religieux. Selon Danielle Payette, une enseignante et membre du Mouvement laïque québécois, « tu ne peux pas être féministe et avoir une idéologie qui ne te met pas au même niveau qu’un homme ». Elle faisait ici référence au voile porté par certaines femmes musulmanes. « Dans mon livre à moi, c’est incohérent. De toute façon, toutes les religions sont sexistes et discriminatoires envers les femmes », a-t-elle plaidé.

Les juristes de l’État demandent de la cohérence

Les juristes de l’État ont dénoncé hier le manque de cohérence du projet de loi 21, qui interdit à certains procureurs du gouvernement le port de signes religieux, mais qui exclut d’autres avocats qui occupent aussi un emploi dans le secteur public. « Pour nous, il y a un manque de cohérence à partir du moment où dans une même salle de cour, pour un même dossier, il pourrait y avoir deux avocats de l’État, l’un portant un signe religieux et l’autre non », a dit Me Marc Dion, président du syndicat Les avocats et notaires de l’État québécois (LANEQ). Prudent, LANEQ a refusé de s’interposer dans le débat politique qui divise les parlementaires sur la nécessité de légiférer sur la laïcité et le port de signes religieux. Me Dion a tout de même affirmé que le nombre de juristes de l’État qui portent des signes religieux à l’heure actuelle se comptait peut-être sur les doigts d’une main. 

« Une loi nécessaire et pondérée »

Patrick Taillon, professeur titulaire à la faculté de droit de l’Université Laval, a affirmé hier que le projet de loi 21 présenté par le ministre Simon Jolin-Barrette était « nécessaire et pondéré pour corriger les excès de la jurisprudence canadienne ». Selon lui, « un constat s’impose : depuis plusieurs décennies, la jurisprudence de la Cour suprême du Canada sur la liberté et la neutralité religieuse suscite au Québec un problème d’acceptabilité sociale ». Ainsi, « par son approche équilibrée et modérée, le projet de loi 21 constitue [une] réponse politiquement raisonnable », a-t-il écrit dans son mémoire. Le professeur de droit a également salué l’utilisation par le gouvernement Legault de la disposition de dérogation pour protéger sa loi contre des contestations judiciaires basées sur le non-respect de la Charte canadienne des droits et libertés.

Une atteinte « difficilement acceptable » des droits

À l’opposé de Patrick Taillon, Pierre Bosset, professeur de droit public du département des sciences juridiques de l’UQAM, a jugé hier que le projet de loi 21 « dénatur[ait] les principes et les exigences de la laïcité et port[ait] atteinte à des libertés et droits fondamentaux d’une manière injustifiée ». Selon lui, le gouvernement Legault déroge « sans aucune nuance à des textes constitutionnels et quasi constitutionnels, en plus de modifier l’un d’eux [la Charte québécoise des droits et libertés de la personne] de façon accélérée et en l’absence d’un consensus parlementaire ». Pour le professeur de droit, le projet de loi du ministre Jolin-Barrette aborde la laïcité « sous un angle extrêmement restrictif, celui des signes religieux », et « représente un recul pour les reconnaissances et l’exercice des droits fondamentaux ».

Le Bloc québécois craint le barrage d’Ottawa

Même s’il n’a plus de chef « transparlementaire », comme à l’époque où Martine Ouellet en assumait le leadership, le Bloc québécois s’est aussi invité dans le débat québécois sur la laïcité. Le parti qui évolue sur la scène politique fédérale a présenté aux parlementaires un mémoire sur le projet de loi 21. Si le Bloc n’a pas été invité aux consultations pour présenter ses observations, il écrit qu’il craint un blocage arrivant d’Ottawa, qui voudrait stopper le gouvernement du Québec dans sa capacité à légiférer sur la question. « Ottawa voudra une fois de plus judiciariser le débat sur la laïcité. Celui-ci n’est pas conforme à son multiculturalisme », a écrit le Bloc dans son mémoire.