(Québec) L’intellectuelle Djemila Benhabib considère que les employés de l’État en position d’autorité – incluant les enseignantes – qui refuseraient de retirer leur voile au travail sont des «intégristes».

De passage à Québec dans le cadre du projet de loi 21 sur la laïcité de l’État, Mme Benhabib a affirmé qu’il «n’existe [aucun] droit à l’exhibitionnisme religieux dans la fonction publique».  

«Les femmes qui portent le hijab et qui considèrent que la loi de Dieu est au-dessus de la loi de la cité, […] [celles] qui exercent un certain chantage émotif en disant qu’elles n’enlèveront pas leur hijab, je considère qu’elles sont intégristes», a dit l’essayiste québécoise.

«L’intégrisme, c’est de l’extrémisme. Ce sont des gens qui peuvent être violents, qui ne sont pas prêts à faire aucun compromis. Soyons prudents avec les étiquettes», a répondu quelques heures plus tard le premier ministre François Legault, lors d’une mêlée de presse.

Un projet de loi à bonifier

La philosophe Louise Mailloux et Djemila Benhabib étaient présentes mardi à l’Assemblée nationale au nom du Collectif citoyen pour l’égalité et la laïcité. Elles ont demandé au gouvernement Legault de ne pas «céder un pouce de nos institutions étatiques» aux «intégristes» qui fragilisent l’État.

Les porte-paroles du collectif souhaitent également que Québec étende l’interdiction du port de signes religieux aux enseignants des écoles privées subventionnées, des écoles confessionnelles subventionnées et aux éducatrices en CPE et en milieu scolaire.

«Le préscolaire et les CPE, c’est l’antichambre de l’école publique. Les jeunes y sont fragiles. […] Il est à ce moment-là important d’interdire et d’éviter la banalisation des signes religieux, surtout un signe qui est sexiste», a dit Mme Mailloux, parlant du voile que portent certaines musulmanes.

«Les premières années [de la vie d’un enfant] sont importantes, décisives pour [eux]. Banaliser des symboles qui véhiculent des valeurs rétrogrades, des valeurs sexistes, ça hypothèque [leur] avenir», a également affirmé Mme Benhabib.

Et les personnes qui «s’entêtent» à vouloir porter un signe religieux au travail, a prévenu Mme Mailloux, devront comprendre «que la laïcité fait partie de notre identité» au Québec.

«On pourrait être beaucoup plus unis dans la tolérance, l’humanisme et la différence que d’être uni en homogénéisant tout le monde», a répliqué la députée libérale Hélène David.

Le gouvernement est «ferme»

PC

Simon Jolin-Barrette

Aux dires même du ministre responsable du projet de loi sur la laïcité, Simon Jolin-Barrette, le gouvernement Legault est «ferme» sur l’interdiction des signes religieux aux employés de l’État en position d’autorité.

Le projet de loi 21 sur la laïcité de l’État, a-t-il dit mardi lors de l’ouverture des consultations particulières au Salon rouge, est «modéré, pondéré et surtout applicable» et «tourne la page» sur plus de 10 ans de débats.

M. Jolin-Barrette a également affirmé que la clause dérogatoire ne serait pas enlevée de la pièce législative, car «il appartient aux [élus] de décider des rapports entre l’État et les religions», et non aux tribunaux.

Le projet de loi – et l’enjeu plus global de la laïcité de l’État – divise les partis politiques représentés à l’Assemblée nationale, parfois même à l’intérieur des caucus, notamment chez les libéraux.

Si de présumés candidats à la succession de Philippe Couillard se sont prononcés pour un compromis Bouchard-Taylor dit classique (ce qui exclut les enseignants, entre autres), la porte-parole libérale en matière de laïcité, Hélène David, a affirmé mardi que tout cela «n’a pas rapport» avec l’étude du projet de loi présenté par le gouvernement de la CAQ.

«Pensez-vous vraiment que M. Legault est en train de tendre la main vers un Bouchard-Taylor strict?», a-t-elle questionné lors de son arrivée au Salon rouge.

Pour les libéraux, donc, le projet de loi 21 «est inacceptable» et le parti défendra sa position traditionnelle, soit la défense des droits individuels. Cette position se rapproche de celle de Québec solidaire, pour qui l’interdiction du port de signes religieux pour des catégories entières d’emploi devrait être totalement exclue.

«On peut interdire les signes religieux, mais il faut avoir de bonnes raisons, des raisons fondées, réelles et démontrées, [pour le faire]. […] [Sinon], ce n’est pas logique et rationnel», a dit le député solidaire Sol Zanetti, mardi.

Jusqu’en mars dernier, QS défendait pourtant le compromis Bouchard-Taylor classique. Cette position a toutefois été modifiée en mars dernier lors d’un Conseil national à Québec. Le parti est désormais contre l’interdiction de signes religieux pour les employés de l’État.

Le chef du Parti québécois, Pascal Bérubé, s’est pour l’instant dit optimiste quant à la capacité du gouvernement d’adopter son projet de loi avant la fin de la session parlementaire, le 14 juin. Il souhaite toutefois que la CAQ ajoute au projet de loi 21 l’interdiction du port de signes religieux pour les éducatrices en service de garde, ainsi que les enseignants des écoles privées.

La Presse révélait mardi le contenu des mémoires que présenteront mardi et mercredi les auteurs du rapport Bouchard-Taylor, Gérard Bouchard et Charles Taylor, tous deux abondamment cités par les parlementaires dans le débat sur la laïcité.

De passage à l’Assemblée nationale mardi, M. Taylor affirmera que le projet de loi de la CAQ «a fatalement la conséquence d’aggraver l’atmosphère empoisonnée» par la vague d’islamophobie présente au Québec, notamment sur les réseaux sociaux.

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QUE PRÉVOIT LE PROJET DE LOI 21?

Le projet de loi 21 sur la laïcité de l’État, déposé en mars dernier par le gouvernement Legault, prévoit l’interdiction du port de signes religieux aux employés de l’État en position d’autorité, incluant les enseignants et les directions d’écoles publiques. Les policiers, les agents correctionnels, les agents de la faune, les constables spéciaux, les procureurs de la Couronne et tous les avocats du gouvernement sont également visés. Idem pour le président de l’Assemblée nationale et ses vice-présidents, alors que les députés pourront continuer de porter leurs signes religieux. Une clause de droit acquis est également prévue pour les employés de l’État actuellement en poste et qui portent un signe religieux, tant et aussi longtemps qu’ils ne changent pas de poste ou d’employeur. Tous les signes religieux sont visés par le projet de loi : tant le hijab que la kippa et la croix catholique. Québec a également inclus une disposition de dérogation aux chartes des droits afin que sa loi ne soit pas contestée devant les tribunaux.