(Ottawa) Le gouvernement Trudeau a dépensé 300 000 $ pour mener sa consultation sur les armes d’assaut et de poing, mais se dit incapable de préciser quelle portion de cette somme a été consacrée à la consultation en ligne dont les résultats ont été trafiqués.

Le ministre de la Sécurité frontalière et de la Réduction du crime organisé, Bill Blair, a argué après la publication du rapport sur l’enquête qu’il y avait une « confusion » au sujet du questionnaire internet, auquel on pouvait répondre un nombre illimité de fois ; que ce n’était ni un « sondage » ni un « référendum ».

En même temps, il a été forcé d’admettre qu’il y avait eu « bourrage d’urne », que les résultats étaient en effet « biaisés », et que lui-même ne s’y fierait pas dans son processus décisionnel lorsque viendra le temps de déterminer si les Canadiens ont un appétit pour bannir ces armes.

C’est que le formulaire en ligne a été pris d’assaut par des anti-prohibitionnistes, dont François Bellemare, qui a répondu en laissant rouler un programme informatique pendant la nuit.

De 25 000 à 35 000 : Nombre de fois que François Bellemare, adepte de tir sportif, aurait rempli le questionnaire en ligne, selon son estimation

« Je voulais faire ma part »

« Je m’attendais à ce qu’il y ait une forte participation des gens qui sont pour le contrôle [des armes], donc, je voulais faire ma part », a expliqué ce candidat malheureux à l’investiture pour le Parti conservateur dans la circonscription de Brome-Missisquoi.

Si l’on se fie aux résultats du questionnaire en ligne, 95 % des participants du Québec ont répondu non à la question de savoir si l’on devrait « en faire plus pour limiter l’accès aux armes de poing », et 93 % ont répondu non à la question : « Devrait-on en faire plus pour limiter l’accès aux armes d’assaut ? »

Même si ces résultats ont de quoi plaire à François Bellemare, il est le premier à dire que « ça n’a aucun sens de baser une législation sur des votes faits dans des sondages sur internet » — ce qu’il dit avoir fait à l’aide de son ordinateur alors qu’il se trouvait dans l’État du Kentucky.

La firme Hill+Knowlton a touché 206 428 $ grâce au contrat. La facture pour l’ensemble du processus s’est établie à 308 099 $, notamment pour « l’analyse par un tiers des résultats des questionnaires en ligne », a indiqué Karine Martel, porte-parole à Sécurité publique Canada.

Impossible, en revanche, de savoir combien le volet en ligne a coûté : « Nous n’avons pas fait le suivi de cette information particulière. Ce n’est donc pas possible de fournir une valeur précise », a répondu la porte-parole dans un courriel à La Presse.

PHOTO ADRIAN WYLD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE 

Heidi Rathjen, coordonnatrice du groupe PolySeSouvient

Au bureau du ministre Blair, on a tenu à préciser que des mesures de sécurité ont été intégrées à l’outil en ligne et au serveur afin de « contrer les cyberattaques et s’assurer que les réponses étaient transmises par un humain ».

Un « exercice de relations publiques »

Ce n’est pas la dépense d’argent qui dérange Heidi Rathjen, coordonnatrice du groupe PolySeSouvient, qui milite pour un meilleur contrôle des armes à feu et pour l’interdiction des armes d’assaut et de poing. « C’est sûr qu’un processus législatif entraîne des coûts », relève-t-elle en entrevue à La Presse

« Pour nous, le mal dans tout ça, c’est la perte de temps et la non-validité des résultats, et l’ambivalence de ce gouvernement à prendre position. »

La consultation menée par le gouvernement, « qui ne nous apprend rien » et qui s’apparente davantage à un « exercice de relations publiques », ne fait « que renforcer » le doute que les libéraux ont la « volonté d’agir de façon concrète sur cet enjeu », soutient-elle.

« Pas une conclusion qui vaut 300 000 $ »

Au total, 134 917 questionnaires ont été remplis entre le 11 octobre et le 10 novembre 2018. La principale conclusion qui se dégage du rapport est que la question ne fait pas consensus, qu’elle est clivante.

« Je pense que les consultations peuvent être une bonne chose. Mais en arriver à la conclusion que c’est un débat qui divise… tout le monde le sait ! Ce n’est peut-être pas une conclusion qui vaut 300 000 $ », note le député néo-démocrate Matthew Dubé.

Personne n’était disponible pour faire de commentaires chez les conservateurs.