L'Arabie saoudite « s'en tire toujours en totale impunité », et cela doit cesser. C'est le message que viendront lancer des groupes de défense des droits de la personne, mardi, à Ottawa en réclamant la suspension ou l'annulation « immédiate » de l'entente de blindés avec Riyad.

Ces organismes, parmi lesquels figurent Amnistie internationale et Oxfam-Québec, veulent garder vivant le débat public et politique sur la vente d'armes au régime du prince Mohammed ben Salmane qui a été relancé avec le macabre meurtre du journaliste Jamal Khashoggi.

Ils inviteront le gouvernement du Canada à témoigner concrètement de son indignation en gelant ou en résiliant l'accord d'une valeur de 15 milliards conclu en 2014 entre l'entreprise ontarienne General Dynamics Land Systems et le royaume saoudien.

« C'est clair qu'il faut que ça arrête tant qu'on n'a pas l'assurance que ces armes-là ne seront pas utilisées lors du conflit au Yémen », a lancé en entrevue téléphonique Béatrice Vaugrante, directrice générale d'Amnistie internationale pour le Canada francophone.

« L'Arabie saoudite s'en sort toujours en pleine impunité, en totale impunité, avec ce qui se passe au Yémen. On a beau voir des photos presque tous les jours de la famine, apparemment, ça n'émeut plus personne », a-t-elle déploré.

Les représentants des groupes de défense des droits de la personne profiteront de leur conférence de presse pour exhorter Ottawa à faire pression pour que les Nations unies décrètent un embargo total des ventes d'armes à Riyad et toutes les parties impliquées dans le conflit armé au Yémen.

Ils demanderont aussi l'amendement du projet de loi C-47, qui vise à modifier le régime du contrôle des armes du Canada en vue de l'adhésion au Traité sur le commerce des armes. La mesure législative adoptée en juin dernier aux Communes est actuellement à l'étude au Sénat.

Le premier ministre Justin Trudeau a indiqué jeudi dernier qu'il en coûterait « des milliards de dollars » pour déchirer le contrat conclu sous le précédent gouvernement conservateur de Stephen Harper, qu'il a qualifié d'« extrêmement difficile ».

Il a du même coup signalé qu'Ottawa avait entamé une révision de tous les permis d'exportation d'armes et d'équipement militaire vers l'Arabie saoudite. Sa ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, a ajouté qu'aucun permis ne serait signé pendant ce processus.

Turp appelle à la transparence

Le professeur de droit et ex-député bloquiste Daniel Turp a tenté - deux fois plutôt qu'une - d'avoir accès au lucratif contrat via la Loi sur l'accès à l'information. Ce fut en vain : Ottawa a refusé de divulguer l'entente, citant le secret commercial.

« Ça commence à me déranger beaucoup qu'on évoque que ça coûterait des milliards de dollars et qu'on estime que les gens devraient croire le premier ministre sur parole », a-t-il exposé en entrevue téléphonique.

D'autant plus qu'on parle d'une entente impliquant une société de la Couronne, la Corporation commerciale canadienne (CCC). « Il y a un gros problème à garder ces données-là secrètes », a argué celui qui tente toujours de bloquer la transaction devant les tribunaux.

« Il n'est jamais trop tard pour bien faire - et bien faire, dans ce cas-ci, c'est de rendre publiques les positions sur les pénalités et les causes ou les motifs qui feraient qu'il y aurait une pénalité », a plaidé Daniel Turp.